Art. 30 à 44 - Fasc. 20 : MINISTÈRE PUBLIC. – Organisation. Attributions du garde des Sceaux

 

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Fasc20 : MINISTÈRE PUBLIC . – Organisation. Attributions du garde des Sceaux

Date du fascicule : 26 Février 2005

Date de la dernière mise à jour : 23 Février 2017

Pascal Lemoine - Conseiller référendaire à la Cour de cassation

Mises à jour

Mise à jour du 23/02/2017 - §32. - Le ministère public exerce l'action publique

Mise à jour du 23/02/2017 - §34. - Deuxième règle : le ministère public fait partie intégrante de la juridiction pénale

Mise à jour du 23/02/2017 - §58. - Réécriture partielle de l'article 35 du Code de procédure pénale relatif au procureur général

Mise à jour du 23/02/2017 - §62. - Suppression du pouvoir du garde des Sceaux de donner des instructions individuelles

Mise à jour du 23/02/2017 - §66. - Conformité aux normes constitutionnelles de l’article 33 du Code de procédure pénale

Mise à jour du 23/02/2017 - §69. - "La parole est libre"

Mise à jour du 23/02/2017 - §97 à 100. - Réécriture partielle de l'article 35 du Code de procédure pénale

Mise à jour du 23/02/2017 - §136. - Indépendance à l'égard du pouvoir exécutif

Mise à jour du 23/02/2017 - §214. - Précisions relatives au rôle du procureur de la République

Mise à jour du 23/02/2017 - §244. - Tribunal de police et juridiction de proximité

Mise à jour du 23/02/2017 - Bibliographie.

Points-clés

Le ministère public est représenté auprès de chaque juridiction répressive et assiste aux débats des juridictions de jugement, dont les décisions sont rendues en sa présence (V. n° 34 à 46).

Le ministère public est, en outre, le relais institutionnel et fonctionnel pour la mise en œuvre de la politique criminelle du gouvernement (V. n° 51).

Tous les membres du ministère public, à l'exception du parquet général de la Cour de cassation, sont unis par un lien hiérarchique au sommet duquel se trouve le garde des Sceaux (V. n° 55 à 60).

Le ministère public est tenu de prendre des réquisitions écrites conformes aux instructions qui lui sont données dans les conditions prévues aux articles 36, 37 et 44 du Code de procédure pénale (V. n° 61 à 68) ; à l'audience, sa parole est libre (V. n° 77 à 83).

Le magistrat du ministère public, en sa qualité de membre du corps judiciaire, est investi directement par la loi d'un pouvoir propre (V. n° 84 à 90).

Le ministère public est indépendant de la juridiction à laquelle il appartient (V. n° 115) et des justiciables (V. n° 132).

I. - Principes généraux

A. - Mission du ministère public

1. – Unité du corps judiciaire – Les magistrats du ministère public forment, avec leurs collègues du siège et les auditeurs de justice, le corps judiciaire (Const. 4 oct. 1958, art. 64 et 65 ; L. org. n° 58-1270, 22 déc. 1958 modifiée).

Périodiquement, la question se pose de savoir s'il reste opportun et conforme à l'évolution de leurs attributions de maintenir les magistrats du parquet au sein d'un corps judiciaire unique ou si, à l'inverse, il ne serait pas préférable d'organiser la séparation fonctionnelle et statutaire avec les magistrats du siège, comme cela existe dans certains États voisins dont le système judiciaire est, par ailleurs, proche du nôtre (l'Allemagne, l'Espagne ou la Suisse, par exemple).

En France, la grande majorité des magistrats, siège et parquet confondus, demeure cependant fortement attachée à l'unité d'un corps judiciaire, même s'ils conviennent généralement que le statut des magistrats du parquet ne peut être absolument identique à celui de leurs collègues du siège (pour deux opinions contraires, V. cependant, G. Accomando, Vers un nouveau ministère public : Justice n° 7, 1997. – J.-P. Dintilhac, Le procureur de la République : L'Harmattan, 2003, p. 79).

2. – Cette volonté de constituer puis de maintenir un corps judiciaire unique tient, dès l'origine, à la nature même des attributions des magistrats du ministère public : magistrats à part entière, ils ont pour mission de défendre les intérêts généraux de la société dans le respect des libertés individuelles(Const., 4 oct. 1958, art. 64. – M. Delmas-Marty, Évolution du parquet et principes directeurs du procès pénal dans les démocraties européennes : in Le parquet dans la République, éditions de l'école nationale de la magistrature, 1996, p. 215).

Dans deux décisions rendues les 11 août 1993 (Cons. const., 11 août 1993, n° 93-326 DC : RFD const. 1993, p. 848, note Renoux) et 2 février 1995 (Cons. const., 2 févr. 1995, n° 95-360 DC ; J. Pradel, D. 1995, chron. n° 23, p. 171 ; T. Renoux, RFD const. 1995, p. 405 ; J. Volff, D. 1995, chron. 26, p. 201), le Conseil constitutionnel a d'ailleurs opportunément rappelé qu'ils étaient, en leur qualité de magistrat, gardiens des libertés publiques, au même titre que leurs collègues du siège.

3. – Unité du corps judiciaire ne signifie pas, pour autant, uniformité de statut et de fonction. Après que la révision constitutionnelle du 27 juillet 1993 eut inscrit, dans l'article 64 à propos du Conseil supérieur de la magistrature, l'existence des magistrats du parquet à côté de ceux du siège, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 2 février 1995, a considéré que “si le membre du parquet appartient à l'autorité judiciaire, s'il possède la qualité de magistrat professionnel, il n'est pas pour autant juge”, censurant ainsi la disposition d'une loi qui avait conféré au ministère public le pouvoir d'éteindre l'actionpublique par une voie transactionnelle.

Dans cette décision, le Conseil constitutionnel a rappelé qu' “en matière de délits et de crimes, la séparation des autorités chargées de l'action publique et des autorités de jugement concourt à la sauvegarde de la liberté individuelle...(et) que le prononcé et l'exécution de (mesures pouvant porter atteinte à la liberté individuelle), même avec l'accord de la personne susceptible d'être pénalement poursuivie, ne peuvent, s'agissant de la répression de délits de droit commun, intervenir à la seule diligence d'une autorité chargée de l'action publique, mais requièrent la décision d'une autorité de jugement”.

4. – La nécessité de sauvegarder un corps unique s'est, incontestablement, fortifiée au fil du temps, principalement sous l'influence des trois facteurs suivants :

D'abord, le fait que nombre de magistrats exercent, au cours de leur carrière, alternativement des fonctions au siège et au parquet, ce qui a contribué à développer une culture commune ; ensuite,

l'implication de plus en plus importante des magistrats du ministère public dans les politiques publiques, malgré toute l'ambiguïté de ce concept, a développé la réflexion sur la place et le rôle des magistrats dans la société, lorsqu'ils sont confrontés aux contraintes de gestion dans les diverses instances mises en place localement, que deux lois (L. n° 2002-1094 du 29 août 2002 : JO 30 août 2002 d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure ; L. n° 2003-239, 18 mars 2003 : JO 19 mars 2003 pour la sécurité intérieure) ont récemment prévues ; enfin, les différentes réformes de procédure pénale intervenues au cours de ces vingt dernières années, guidées notamment par la volonté de reconnaître une place effective à la victime dans l'instance pénale, ont “renforcé, fonctionnellement, le rôle du procureur, qui n'est plus seulement celui qui accuse et demande au juge de prononcer des peines, mais également celui qui, en premier lieu, apprécie la plus juste et la plus opportune réaction judiciaire en prenant en considération à la fois l'intérêt des victimes, la prévention de la récidive, l'ordre public, mais aussi les moyens dont dispose l'institution judiciaire” (J.-P. Dintilhac, op. cit., p. 29).

5. – La recherche d'un équilibre harmonieux entre ces deux impératifs, l'un d'ordre public – la défense des intérêts généraux de la société – l'autre d'ordre privé – le respect des libertés individuelles –, est l'aboutissement, nécessairement provisoire à l'heure de l'Union européenne, d'une longue et patiente élaboration coutumière de cette institution qu'est le ministère public, dont les missions et les attributions ne résultent pas d'une construction théorique mais sont nées, historiquement, de la pratique et de ses exigences, et sont consubstantielles à la création puis au développement de l'État moderne.

6. – Aussi, le doyen Carbonnier a-t-il pu écrire que “dans un pays, un État et un ministère public peuvent suffire au bonheur des citoyens” (Droit civil : t. 1, 1962, p. 281).

B. - Historique du ministère public

7. – Reconnaissant le droit des personnes lésées à obtenir réparation, l'autorité publique s'est d'abord limitée à canaliser la vengeance privée, à fournir un arbitre aux parties et à instituer quelques règles sommaires de procédure, essentiellement dictées par des préoccupations d'ordre public, pour le règlement de leurs litiges.

8. – C'était la période de la justice privée, où le coupable et le vengeur de la victime (parfois, la victime elle-même) comparaissaient devant le représentant de l'autorité publique pour y vider leur querelle.

Cette forme primitive, obéissant à des règles de procédure rudimentaires, était de type dit "accusatoire", car le débat se déroulait entre l'accusateur et l'accusé, sans que le juge, en position d'arbitre, ait une quelconque initiative, notamment pour rechercher la vérité.

9. – La conviction du juge, faute d'être établie par les témoignages de "jureurs" au cours d'une instruction en présence du peuple, l'était alors par le recours au "jugement de Dieu", par l'épreuve des ordalies ou par le duel judiciaire.

Si l'accusé était absous, l'accusateur pouvait subir la loi du talion et être condamné aux peines mêmes du crime allégué.

Le juge, lui-même, n'était couvert par aucune immunité et pouvait être provoqué en duel par le condamné mécontent du jugement rendu.

10. – Ce système accusatoire avait été introduit dans la Gaule du Bas-Empire par les conquérants barbares. Mais, du fait de ses limites, il aboutissait fréquemment à l'impunité.

 

11. – En affermissant son emprise et son autorité, le pouvoir monarchique ne pouvait se satisfaire d'un tel système, d'autant que les juridictions ecclésiastiques, rivales des juridictions séculières, étaient composées de professionnels, formés à l'étude du droit romain. Ceux-ci s'inspiraient d'une manière de procéder écrite, dans laquelle le juge pouvait prendre l'initiative de rechercher lui-même la vérité par l'audition des témoins, c'est à dire par enquête (per inquisitionem), d'où l'origine du nom de procédure inquisitoire. Ce nouveau système est donc contemporain des prémisses d'un État moderne, même s'il n'est pas, pour autant, à l'abri d'excès tels qu'en a connu, par exemple, la période de l'inquisition.

 

12. – Ainsi placées face à l'Église et au fonctionnement de ses tribunaux, les juridictions séculières imitèrent et adoptèrent peu à peu cette procédure, qui séduisait par sa simplicité et sa régularité. Auprès des juridictions ecclésiastiques, la poursuite était mise en œuvre d'office par un "promoteur", dont l'existence sera officialisée en 1243 par le pape Innocent III. Ses fonctions consistaient à engager les poursuites, surveiller la procédure d'instruction, réclamer une peine et, le cas échéant, interjeter appel de la décision rendue.

 

13. – Le système se répandit rapidement et, par contagion, cet exemple fut un modèle qui aida puissamment à la formation d'un ministère public auprès des juridictions séculières. Ces dernières, qui devaient faire face à la complexité croissante du droit coutumier, tandis que se diffusaient le droit romain et sa procédure, furent ainsi amenées à avoir recours à des éléments professionnels, de formation savante, constamment disponibles parce qu'ils étaient "à gages" et en faisaient métier.

 

14. – Le Roi, mais aussi les seigneurs, les communautés et les particuliers, prirent ainsi l'habitude de se faire représenter et défendre en justice par des procureurs qui tenaient la plume (rédigeant des assignations, des convocations de témoins, produisant et communiquant des pièces et actes de procédure), et par des avocats, réputés pour leur éloquence, qui portaient la parole ; chacun avait ainsi des fonctions spécifiques et percevait des honoraires (gages) fixés pour chaque affaire.

Cette dualité originelle entre avocats et procureurs du Roi subsiste, sans recouvrir la distinction qu'elle avait initialement, dans le titre des magistrats du parquet général de la cour d'appel, certains ayant le titre d'avocat général et d'autres celui de substitut général.

En se développant, le pouvoir royal eut de plus en plus fréquemment recours à ces représentants établis auprès des juridictions, pour toutes les affaires où il était intéressé ; ce fût, en particulier, le cas dans les affaires fiscales et patrimoniales, parce que les amendes et confiscations consécutives aux condamnations pénales étaient alors l'une des principales sources de revenus de la royauté et de certains seigneurs.

B. Kriegel, le parquet dans la construction de l'État : in Le parquet dans la République, op. cit., p. 22.

C'est le ministère public – le parquet – qui trace en effet une brèche dans la justice seigneuriale, laquelle n'admettait aucun représentant en justice extérieur aux parties engagées. Au XIIIe siècle, comme on le voit chez Beaumanoir, il n'était loisible de se faire représenter ni au civil, ni au criminel, "en demandeur". Par exception, le Roi ou les seigneurs souverains pouvaient "demander par procureur". De là, la maxime ancienne : "Nul ne plaide en France par procureur, hors le roi". Le ministère public, c'est la plaidoirie royale exceptionnelle au nom d'un intérêt supérieur, l'intérêt du service du public.

15. – C'est ainsi qu'au XIVe siècle, certains d'entre eux reçurent une pension forfaitaire pour représenter le Roi en toute occasion devant la juridiction à laquelle ils étaient attachés. Ils devinrent les procureurs et les avocats du Roi, ainsi nommés dans l'ordonnance de Philippe le Bel du 15 mars 1303. Le premier procureur du Roi à être nommé fut Pierre de Villebresme, en 1323 au Parlement de Paris, et devant l'ampleur de sa tâche, il dut se faire désigner un substitut. Très rapidement, il se vit confier nombre de tâches extrajudiciaires. Cette ordonnance enjoignait aux procureurs du Roi de prêter le même serment que les magistrats et leur interdisait de se mêler, dorénavant, de la cause des particuliers.

 

16. – Chaque juridiction eut des "gens du Roi" dont la délégation, d'abord temporaire, devint progressivement permanente, et dont le caractère se transforma comme celui du pouvoir monarchique qui, de simple suzerain, devint le représentant de l'intérêt général.

 

17. – Ces procureurs du Roi se trouvèrent ainsi amenés à poursuivre d'initiative les auteurs des crimes et autres infractions qui portaient atteinte à l'ordre social, dont le Roi était désormais le gardien. Auprès de la juridiction, ils occupaient, avec les autres gens du Roi, mais en dessous de l'estrade surélevée sur laquelle se tenaient les juges, une place dans l'un des petits parcs délimitant l'emplacement réservé à chacun, et demeuraient sur le parterre (parquet) ; c'est de cette situation originelle et originale que le parquet tire son appellation. Par déférence à l'égard des juges, ils se levaient pour prendre la parole, usage qui continue d'être observé par les avocats et les magistrats du ministère public ; seuls ces derniers continuent, toutefois, d'être appelés gens du parquet.

 

18. – En se multipliant, ces corporations des gens du Roi furent progressivement acceptées comme un usage, qui sera consacré par l'ordonnance de Villers-Cotterets de 1539. Elle prévoit que dans tout procès, le procureur du Roi est dorénavant partie ; ce texte rendra, en outre, obligatoire l'engagement des poursuites dans tous les cas de commission d'un crime, même si aucune plainte n'a été déposée, faisant de la sorte émerger une conception spécifique de l'ordre public, distincte du seul intérêt de la victime.

 

19. – La procédure criminelle accusatoire, où l'accusé devait faire la preuve de son innocence, céda ainsi progressivement la place à la procédure inquisitoire, où incombait à l'accusateur (le ministèrepublic) la charge de rapporter la preuve de la culpabilité. Dès lors, s'opéra un transfert de l'exercice de la vengeance privée de la victime vers l'autorité publique, représentée par le procureur du Roi, devenu le défenseur de l'ordre public.

 

20. – Initiée par l'ordonnance de Villers-Cotterets de 1539, puis développée par celle de Blois de 1579, cette organisation trouvera son achèvement dans l'ordonnance criminelle de 1670, qui ouvrit la voie à la procédure pénale actuellement en vigueur ; “demeurée cent vingt ans en vigueur, quelque chose de son esprit se retrouvera dans le Code d'instruction criminelle de 1810” (B. Kriegel, op. cit., p. 24).

 

21. – À l'époque, cependant, tout pouvoir – législatif, exécutif et judiciaire – émanait du Roi, qui était le seul dépositaire de la souveraineté ; le procureur du Roi devint, de ce fait, l'agent de l'ensemble de la souveraineté incarnée par le monarque, et non l'agent du seul pouvoir exécutif.

 

22. – La révolution va, de ce point de vue, apporter de profonds changements dans la conception même et dans l'organisation du ministère public. Lors des débats à la Constituante sur ce qui deviendra la loi des 16-24 août 1790, Thouret évoquait une “division fonctionnelle du ministère public”, qu'il définissait ainsi : “Le maintien des lois générales”, l'exécution des jugements, la surveillance de la“conduite des juges”, touchant au Roi comme chef du pouvoir exécutif, seront naturellement exercées par ses commissaires. En revanche, il est une autre et dernière fonction qui, elle, est toujours par nature très différente des précédentes, celle de l'accusation publique qui est une "fonction populaire", en conséquence de quoi sa provenance sera différente, ne pouvant être exercée que par un "homme du peuple". Robespierre, dans un discours prononcé le 9 août 1790, reprendra cette idée que “tout délit qui attaque la société attaque la nation : c'est à la nation à en poursuivre seule la vengeance, ou à la poursuivre concurremment avec la partie lésée” (V. J.-P. Royer, Histoire du ministère public, évolutions et ruptures : in Le parquet dans la République, op. cit., p. 13).

Apparaît ainsi, dans la loi des 16-24 août 1790, un accusateur public élu, qui reste cependant placé sous l'autorité du pouvoir exécutif.

J.-P. Royer, op. cit., p. 14.

La grande rupture fut donc inscrite dans les textes, dans la loi des 16-24 août 1790 aux titres VII et VIII "Duministère public", et dans la loi du 16 septembre 1791 sur la police de sûreté, la justice criminelle, et l'institution des jurés, titre IV "Fonctions de l'accusateur public" et titre V "Des fonctions du commissaire du Roi".

23. – Le Directoire, le Consulat et l'Empire s'attacheront à réunifier le ministère public, la constitution de l'An VIII énonçant que “les fonctions d'accusateur public près les tribunaux criminels seront remplies par un commissaire du gouvernement” (art. 63) “nommé et révoqué à volonté” (art. 41).

M.-L. Rassat a pu écrire, à ce propos, que “le ministère public moderne n'est pas une transposition duministère public d'ancien régime, ... il a été créé de toutes pièces par le législateur napoléonien” (Le ministèrepublic entre son passé et son avenir : LGDJ, 1967, p. 34) ; ce modèle sera, d'ailleurs, exporté à l'occasion des conquêtes impériales, notamment en Italie.

24. – Les troubles et l'instabilité politique qui s'ensuivra au XIXe siècle amèneront leur lot d'épurations successives qui concernent, en premier lieu, les magistrats du ministère public. Certains s'en accommoderont, d'ailleurs, fort bien ; ainsi, Rouland, avocat général à la Cour de cassation, qui, le 24 mars 1848, écrit au ministre de la Justice – Adolphe Crémieux : “Je comprends les nécessités politiques qui empêchent le gouvernement de me maintenir dans mes fonctions. Je rentre dans le rang et dis un éternel adieu à la vie politique” (cité par J.-P. Royer, op. cit., p. 16).

 

25. – Du point de vue institutionnel, la Constitution du 4 octobre 1958 conservera, en l'améliorant, le Conseil supérieur de la magistrature, qui avait été créé en 1946. Mais, surtout, le gouvernement de l'époque va, par ordonnance, procéder à une importante réforme de la carte judiciaire.

 

26. – Au cours des trente dernières années, un Code pénal sera adopté, après que plusieurs projets eussent été déposés, et plusieurs réformes de procédure viendront moderniser la procédure pénale et la mettre en harmonie avec les exigences de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950.

 

27. – Depuis une vingtaine d'années cependant, des associations, dont la liste ne cesse de s'allonger, se sont vues reconnaître un rôle important dans le déclenchement des poursuites pénales puis intervenir dans la cours de la procédure (CPP, art. 2-1 à 2-21) ; le risque existe que ce mouvement, guidé par des préoccupations empreintes d'humanité, ne ramène, par une singulière régression, aux abus de la vengeance privée et de la procédure accusatoire. Ce serait faire paraître ce que Montesquieu(L'Esprit des lois, Livre VI, chap. VIII : Des accusations dans les divers gouvernements) dénonçait comme“un genre d'hommes funestes, une troupe de délateurs, pseudo-procureurs le plus souvent étrangers à tout souci de défense du bien public et absolument imperméables à la notion d'opportunité des poursuites”.

C. - Complexité des attributions du ministère public

28. – On trouve, déjà, sous la plume d'un magistrat de la première moitié du XIXe siècle (M. De Molènes, Traité pratique des fonctions du procureur du Roi : 1843) la description, dans un parquet d'arrondissement, de l'étendue et de la variété des attributions du ministère public, qui se rattachent à toutes les parties du droit civil et criminel et à un grand nombre de domaines du droit commercial, du droit administratif, du droit militaire et du droit international (V. P. Garraud : in Préface du ministère publicde F. Goyet, Recueil Sirey, 1926, p. 5).

Seules seront étudiées les attributions du ministère public en matière pénale (V. infra Art. 30 à 44,fasc. 30. – V. les fonctions civiles du parquet dans J.-Cl. Procédure civile, Fasc. 100 et 101 . – Quant auministère public, dans son ensemble, V. J.-Cl. Pratique des Parquets et de l'Instruction, V° Ministère public).

II. - Organisation

29. – Dans les articles qui traitent du ministère public, le Code de procédure pénale ne contient aucune innovation importante par rapport au Code d'instruction criminelle, qui s'inscrivait lui-même dans le prolongement de l'ordonnance criminelle de 1670.

Il a, cependant, légalisé et coordonné des principes qu'une longue tradition avait antérieurement admis.

30. – En outre, cinq lois récentes (L. n° 93-2, 4 janv. 1993 ; L. n° 99-515, 23 juin 1999 ; L n° 2001-1062, 15 nov. 2001 ; L. n° 2002-1138, 9 sept. 2002 et L. n° 2004-204, 9 mars 2004) ont codifié aux articles 41-1 à 41-3 des mesures, souvent nées de la pratique, qui sont généralement connues sous l'appellation de "mesures de troisième voie" ou "classements actifs", par opposition au classement sans suite et à l'engagement des poursuites.

 

31. – Des principes généraux qui régissent l'organisation du ministère public découlent, d'une part, un statut particulier aux magistrats du Parquet et, d'autre part, une organisation spécifique au sein de chacune des juridictions où il est représenté.

A. - Principes généraux

1° Première règle : le ministère public, seul, exerce l'action publique

32. – L'article 31 du Code de procédure pénale pose le premier de ces principes, en énonçant que “leministère public exerce l'action publique et requiert l'application de la loi”. Ce texte a ainsi rectifié l'inexactitude inscrite dans le Code d'instruction criminelle, qui édictait que l'action publique appartenait au ministère public, alors qu'elle appartient à la société qui ne fait qu'en confier l'exercice au ministèrepublic.

Mais, si la mission du ministère public consiste à soutenir l'accusation, cette fonction n'est “ni obligatoire ni systématique (et) il est parfaitement légitime qu'un procureur abandonne l'accusation s'il estime les charges insuffisantes” (V. P. Kramer, Les entretiens de Saintes : éditions Lire et Écrire, 1999, p. 69).

Il s'en remet alors à l'appréciation du tribunal, qui n'est aucunement lié par ses réquisitions, et qui devra statuer sur l'action publique dont il a été régulièrement saisi (Cass. crim., 23 mars 1954 : Bull. crim. 1954, n° 11. – Cass. crim., 8 déc. 1955 : Bull. crim. 1955, n° 554).

Note de la rédaction – Mise à jour du 23/02/2017

32 . - Le ministère public exerce l'action publique

(V. Cass. crim., 18 janv. 2011, n° 10-84.980, 356 : JurisData n° 2011-000648 sous le n° 136)

Impartialité du ministère public

L'article 3 de la loi n° 2013-669 du 25 juillet 2013 relative aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l'actionpublique (JO 26 juill. 2013, p. 12441) a ajouté, à l'article 31 du Code de procédure pénale, selon lequel “le ministère public exerce l'action publique et requiert l'application de la loi”, qu'il devait remplir cette fonction “dans le respect du principe d'impartialité auquel il est tenu”. Il est difficile de donner une signification à cette affirmation dès lors que l'exercice de l'action publique fait du ministère public une partie au procès, laquelle ne saurait être, par définition, impartiale. En outre, si l'on admet que les magistrats du ministère public sont impartiaux, il faudrait en déduire qu'ils peuvent, désormais, participer au jugement des affaires qu'ils ont connues comme autorité de poursuite.

33. – Le législateur n'a pas entendu ouvrir une brèche dans ce principe en prévoyant (CPP, art. 500-1)que le désistement, par le prévenu ou la partie civile, de leur appel principal entraîne la caducité de l'appel incident du parquet lorsque ce désistement intervient dans les formes prévues pour la déclaration d'appel ; en effet, cette règle ne fait que tirer la conséquence logique de la notion d'appel incident, qui n'est formé qu'en raison de l'existence d'un appel principal, et qui doit donc normalement disparaître avec celui-ci.

2° Deuxième règle : le ministère public fait partie intégrante de la juridiction pénale

34. – Confirmant une jurisprudence traditionnelle, cette règle découle des articles 32 du Code de procédure pénale et L. 213-4, R. 213-21 à R. 213-26, L. 311-14 et L. 311-15 du Code de l'organisation judiciaire.

Le ministère public est, ainsi, représenté auprès de chaque juridiction répressive et assiste aux débats des juridictions de jugement, dont les décisions sont rendues en sa présence. Il fait donc partie intégrante de la juridiction répressive, et celle-ci ne peut connaître de l'instruction et du jugement des affaires qui lui sont soumises qu'autant qu'un magistrat du ministère public est présent et a pris des réquisitions (jurisprudence constante, V. notamment Cass. crim., 23 janv. 1957 : Bull. crim. 1957, n° 75. – Cass. crim., 3 févr. 1960 : Bull. crim. 1960, n° 61. – Cass. crim., 26 juill. 1983 : Juris-Data n° 1983-701734 ; Bull. crim. 1983, n° 228).

Cette règle vaut, notamment, à l'audience civile de la cour d'assises (CPP, art. 371. – Cass. crim., 25 mars 1998 : Juris-Data n° 1998-001911 ; Bull. crim. 1998, n° 110. – Cass. crim., 13 sept. 2000 : Juris-Data n° 2000-006251 ; Bull. crim. 2000, n° 269).

Il découle de ce principe que les jugements et arrêts rendus en matière pénale doivent, à peine de nullité, constater que le ministère public était présent à l'audience et qu'il a eu la parole pour prendre ses réquisitions (jurisprudence constante, V. notamment Cass. crim., 23 janv. 1957 : Bull. crim. 1957, n° 75. – Cass. crim., 19 mars 1957 : Bull. crim. 1957, n° 271. – Cass. crim., 9 mars 1965 : Bull. crim. 1965, n° 68. – Cass. crim., 3 déc. 1991 : Juris-Data n° 1991-003828 ; Bull. crim. 1991, n° 456), tant sur le fond que sur des incidents contentieux (Cass. crim., 9 mai 1932 : Bull. crim. 1932, n° 125) ; il en est ainsi, également, lors de l'interrogatoire d'identité auquel il est procédé devant la chambre de l'instruction dans le cadre d'une procédure d'extradition (Cass. crim., 22 mars 1988 : Bull. crim. 1988, n° 139) ou d'exécution d'un mandat d'arrêt européen.

Note de la rédaction – Mise à jour du 23/02/2017

34 . - Deuxième règle : le ministère public fait partie intégrante de la juridiction pénale

Justifie sa décision la chambre de l'instruction qui rejette l'exception de nullité prise de l'absence duministère public lors du prononcé de la décision du juge des libertés et de la détention ordonnant le placement en détention provisoire à l'issue du débat contradictoire.

En effet, l'article 145 du Code de procédure pénale n'impose pas que le ministère public soit présent lorsqu'est rendue l'ordonnance de placement en détention provisoire et l'article 32 du même code ne prescrit une telle présence que lors du prononcé des décisions des juridictions de jugement (Cass. crim., 28 avr. 2009 : JurisData n° 2009-048214 ; Bull. inf. C. cass. 2009, 1291 ; AJP 2009, p. 269, obs. G. Royer).

35. – La preuve que le ministère public a pris ses réquisitions, dont l'inobservation lorsque l'actionpublique est en cause porte atteinte aux intérêts de toutes les parties, doit résulter de la décision elle-même (Cass. crim., 10 juill. 1995 : Juris-Data n° 1995-002399 ; Bull. crim. 1995, n° 251).

Mais la mention, dans un arrêt, qu'à l'audience des débats, à laquelle était présent un magistrat du parquet, “les parties ont eu la parole dans l'ordre prévu par les articles 513 et 460 du Code de procédure pénale implique que le ministère public a été entendu en ses réquisitions (Cass. crim., 4 févr. 1997 :Juris-Data n° 1997-000569 ; Bull. crim. 1997, n° 45).

36. – À défaut de mention expresse, la présence du magistrat du ministère public peut résulter d'autres indications de la décision ou des pièces de procédure. Il en est ainsi, devant la cour d'assises, de la mention du procès-verbal des débats selon laquelle une récusation a été prononcée à la demande du ministère public (Cass. crim., 6 janv. 1882 : Bull. crim. 1882, n° 8).

De même, la mention selon laquelle le ministère public a été entendu en ses réquisitions (Cass. crim., 26 mars 1996 : Juris-Data n° 1996-001823 ; Bull. crim. 1996, n° 134. – Cass. crim., 4 sept. 1996 : Bull. crim. 1996, n° 313) ou que l'arrêt a été prononcé en présence du représentant du ministère public, justifie que ce magistrat a été présent à toutes les audiences (Cass. crim., 7 sept. 1999 : Juris-Data n° 1999-003350 ; Bull. crim. 1999, n° 179).

37. – Après avoir considéré que le nom du magistrat occupant le siège du ministère public devait figurer dans la décision (Cass. crim., 6 avr. 1865 : Bull. crim. 1865, n° 85. – Cass. crim., 25 août 1877 : Bull. crim. 1877, n° 204), la chambre criminelle a désormais abandonné cette exigence (Cass. crim., 12 juill. 1994 : Juris-Data n° 1994-002953 ; Bull. crim. 1994, n° 278. – Cass. crim., 6 mai 1996 : Juris-Data n° 1996-003004 ; Bull. crim. 1996, n° 187).

De même, s'agissant du contenu des réquisitions elles-mêmes, si devant la cour d'assises le procès-verbal des débats n'est pas tenu de rendre compte de celles qui sont prises en application de l'article 346 du Code de procédure pénale, une telle mention, qui ne porte atteinte ni aux droits des accusés ni au principe de l'oralité des débats, ne saurait être de nature à entraîner la cassation (Cass. crim., 12 févr. 2003 : Juris-Data n° 2003-018151 ; Bull. crim. 2003, n° 33).

38. – Une exception à la présence du ministère public à l'audience de la juridiction répressive est, cependant, expressément prévue dans l'hypothèse où, après avoir statué sur l'action publique, le tribunal renvoie l'affaire à une date ultérieure pour statuer sur l'action civile. La présence du ministèrepublic à l'audience sur intérêts civils n'est désormais plus obligatoire (CPP, art. 464. – Cass. crim., 18 déc.2001 : Juris-Data n° 2001-012680 ; Bull. crim. 2001, n° 274).

Cette règle est également applicable devant la chambre des appels correctionnels (CPP, art. 512).

39. – Il a, également, été admis que la présence du ministère public n'était pas obligatoire lors du tirage au sort de la liste de session de la cour d'assises (Cass. crim., 23 oct. 1985 : Bull. crim. 1985, n° 326).

 

40. – Mais, hormis les exceptions qui viennent d'être mentionnées, le principe suivant lequel le magistrat du ministère public doit, en matière répressive, être constamment présent, est absolu ; il en est ainsi même dans le cas où les fonctions du ministère public sont assumées par des agents d'une administration comme, par exemple, en matière de délits forestiers, par les préposés qualifiés de l'administration des eaux et forêts (Cass. crim., 21 oct. 1953 : JCP G 1953, IV, 165 ; Bull. crim. 1953, n° 270. – Cass. crim., 19 janv. 1954 : Bull. crim. 1954, n° 17. – Cass. crim., 27 oct. 1955 : Bull. crim. 1955, n° 432).

41. – Si des arrêts anciens avaient admis que le magistrat du ministère public puisse s'absenter quelques instants de la salle d'audience (Cass. crim., 23 sept. 1852 : DP 1852, 5, p. 367 ; Bull. crim. 1852, n° 325), la chambre criminelle, dans ses décisions plus récentes, est revenue sur cette tolérance(Cass. crim., 9 mai 1985 : Bull. crim. 1985, n° 178).

Elle a, cependant, admis une brève absence dans un cas d'espèce où le président avait pris toutes mesures utiles pour pallier l'absence momentanée du ministère public (Cass. crim., 8 nov. 2000 : Juris-Data n° 2000-007514 ; Bull. crim. 2000, n° 332) ; dans cette affaire, l'audience avait été reprise par la plaidoirie de l'avocat de la défense ; s'apercevant alors de l'absence du ministère public, le président avait fait suspendre l'audience et, à sa reprise, avait donné à nouveau la parole à l'avocat en l'informant qu'il pouvait reprendre sa plaidoirie au début.

42. – Conformément aux prescriptions de l'article R. 751-1 du Code de l'organisation judiciaire, “les magistrats du ministère public n'assistent pas aux délibérations des juges lorsqu'ils se retirent en chambre du conseil pour le jugement des affaires”.

 

43. – En revanche, la présence du ministère public s'impose, à peine de nullité, lors du prononcé de la décision (Cass. crim., 23 juin 1992 : Juris-Data n° 1992-002036 ; Bull. crim. 1992, n° 250. – Cass. crim., 18 janv. 1995 : Juris-Data n° 1995-004341 ; Bull. crim. 1995, n° 27. – Cass. crim., 19 avr. 1995 : Juris-Data n° 1995-001413 ; Bull. crim. 1995, n° 157) ; cette présence peut, toutefois, se déduire des constatations du procès-verbal des débats devant la cour d'assises (Cass. crim., 15 mai 1985 : Bull. crim. 19895, n° 186) ou de la mention selon laquelle son représentant a été entendu en ses réquisitions (Cass. crim., 26 mars 1996 : Juris-Data n° 1996-001823 ; Bull. crim. 1996, n° 134. – Cass. crim., 4 sept. 1996 : Bull. crim. 1996, n° 313).

Mais, en application de l'article 592, alinéa 2 du Code de procédure pénale, la nullité de la décision n'est encourue qu'à défaut d'audition du ministère public à l'audience des débats, et il n'importe que la minute ne mentionne pas sa présence au prononcé (Cass. crim., 26 mars 1996 : Bull. crim. 1996, n° 134. – Cass. crim., 4 sept. 1996 : Bull. crim. 1996, n° 313).

Toutefois, devant la chambre de l'instruction, les dispositions de l'article 216 du Code de procédure pénale n'imposent pas la présence du ministère public à l'audience du prononcé de l'arrêt, seule étant exigée, à peine de nullité, son audition lors des débats (Cass. crim., 6 mars 1996 : Juris-Data n° 1996-001812 ; Bull. crim. 1996, n° 104. – Cass. crim., 11 juin 1996 : Juris-Data n° 1996-003200 ; Bull. crim. 1996, n° 244. – En sens contraire : Cass. crim., 19 avr. 1995 : Juris-Data n° 1995-001413 ; Bull. crim. 1995, n° 157).

44. – En matière civile, le ministère public n'est tenu d'assister à l'audience que dans les cas où il est partie principale ; dans les autres cas, il n'est tenu d'assister que lorsqu'il représente autrui ou que sa présence est rendue obligatoire par la loi.

Mais il lui est alors toujours loisible de faire connaître son avis à la juridiction, soit en lui adressant des conclusions écrites qui sont mises à la disposition des parties, soit oralement à l'audience (NCPC, art. 431 et 443. – V. J.-Cl. Procédure civile, Fasc. 100 et 101).

45. – Devant la commission d'indemnisation des victimes d'infractions pénales, “les fonctions duministère public sont exercées par le procureur de la République ou l'un de ses substituts” (CPP, art. 706-4). Les articles R. 50-18 et R. 50-19 du Code de procédure pénale disposent que “le procureur de la République est informé de la date de l'audience et dépose ses conclusions quinze jours au moins avant cette date” et qu' “à l'audience, ... (il) développe ses conclusions”.

46. – Enfin, le ministère public peut toujours, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, soulever "in limine litis", l'exception de nullité de l'exploit de citation ou d'un acte de procédure, quand bien même la personne que cet acte concerne se serait abstenue de le faire (Cass. crim., 5 mars 1970 : Bull. crim. 1970, n° 93).

3° Troisième règle : le ministère public est le représentant de la Nation souveraine, chargé d'assurer le respect de la loi

47. – Magistrat à part entière, à ce titre garant à la fois des libertés individuelles et des intérêts généraux de la société, comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel dans ses deux décisions des 11 août 1993 et 2 février 1995 précitées (V. supra n° 2), le magistrat du ministère public bénéficie, dans l'exercice de ses attributions, d'une délégation directe de la loi qui lui confère sa légitimité.

 

48. – Il ajoute ainsi à son autorité de magistrat la majesté de la puissance publique qu'il incarne, et agit, non pas au nom de l'État ni du gouvernement, mais en celui de la République, à qui l'ensemble des citoyens a délégué sa souveraineté (V. M.-L. Rassat, Le parquet au regard de la législation interne : in Le parquet dans la République, op. cit., p. 107).

 

49. – Mais, outre l'application de la loi, le procureur de la République tient de l'article 40 du Code de procédure pénale, le pouvoir d'apprécier l'opportunité d'engager ou non des poursuites.

Or, le droit de porter une accusation publique, en matière répressive, comme celui d'intervenir dans les procès civils sont des attributs essentiels de la souveraineté (V. M.-L. Rassat, Le ministère public entre son passé et son avenir : éditions R. Pichon et R. Durand-Auzias, LGDJ, 1975, n° 187).

Si, dans l'ancien droit, les officiers du ministère public étaient les agents du pouvoir royal auprès des tribunaux, agissant en son nom et sur sa délégation, c'était parce que celui-ci, seul détenteur de la souveraineté, réunissait sur sa tête les trois pouvoirs.

50. – Depuis la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (art. 3)“le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation”.Aussi, comme l'écrivent L. Lemesle et F.-J. Pansier “apprécier l'opportunité des poursuites est un pouvoir de nature politique, au sens plein du terme, qui ne peut se fonder que sur une légitimité supérieure à celle du magistrat. Dans le système français, et il faut lui reconnaître à cet égard une réelle cohérence, c'est son rattachement hiérarchique au garde des Sceaux qui confère au ministère public cette légitimité supérieure”(Le procureur de la République : PUF, 1998, p. 35).

 

51. – Le ministère public est, en outre, le relais institutionnel et fonctionnel pour la mise en œuvre de la politique criminelle du gouvernement, telle qu'elle est exprimée par le garde des Sceaux, soit par les directives qu'il adresse dans une affaire particulière, soit par des directives générales.

En effet, aux termes de l'article 33 du Code de procédure pénale“Il est tenu de prendre des réquisitions écrites conformes aux instructions qui lui sont données dans les conditions prévues aux articles 36, 37 et 44. Il développe librement les observations orales qu'il croit convenables au bien de la justice”.

L'importance de ce rôle du ministère public a été, récemment, réaffirmé par le garde des Sceaux (Circ. CRIM 2001-04/E, 9 mai 2001, Action publique et sécurité : BO min. Justice 2001, n° 82).

Il permet ainsi à l'exécutif de faire entendre son point de vue au juge, d'une manière officielle et, désormais, transparente puisqu'aux termes de l'article 30, alinéa 3 du Code de procédure pénale (créé par L. n° 2004-204, 9 mars 2004, art. 63 : JO 10 mars 2004) “[le ministre de la justice] peut dénoncer au procureur général les infractions à la loi pénale dont il a connaissance et lui enjoindre, par instructions écrites et versées au dossier de la procédure, d'engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites que le ministre juge opportunes”.

52. – Cette dualité fonctionnelle explique que “depuis plus d'un siècle, la discussion porte essentiellement sur le moyen de concilier l'indépendance du parquet et sa subordination au pouvoir exécutif” (G. Accomando, op. cit., p. 87. – V. également L. Lemesle et F.-J. Pansier, op. cit., p. 6).

Ce qu'exprime, en d'autres termes, un haut magistrat :

B. Cotte, in Les entretiens de Saintes, op. cit., p. 62.

J'incline à penser que le ministère public est avocat de la loi, car, d'une part, la loi fixe son cadre d'activité et légitime son action ; d'autre part, son rôle est de la faire appliquer. Par ailleurs, d'une certaine façon et sous certaines conditions, il est également l'avocat de l'État dans trois cas, lorsqu'il est le représentant d'un gouvernement ayant constitutionnellement la responsabilité d'assurer l'exécution des lois, lorsqu'il est investi de la mission de mettre en œuvre les grandes orientations de politique judiciaire – notamment la politique pénale – arrêtées par le gouvernement ; enfin, lorsqu'il est amené à remplir, de temps à autre, le rôle de porte-parole du gouvernement qui, à mon sens, ne doit pas rester silencieux dans certaines circonstances et se trouve dans l'obligation de faire connaître à la juridiction – qui appréciera – le point de vue des pouvoirspublics à un moment donné dans une affaire déterminée.

Pour remédier aux éventuelles difficultés que peut générer cette situation, le procureur général près la Cour de cassation a proposé, en référence à un modèle européen en vigueur dans certains États voisins – l'Espagne, notamment – de placer au sommet de la hiérarchie du ministère public un procureur général de la Nation, nommé et révoqué par le pouvoir politique, au lieu et place du ministre de la Justice (V. J.-F. Burgelin et P. Lombard, Le procès de la justice : Plon, 2003).

53. – Lorsque les deux intérêts dont il est en charge – assurer le respect de la loi et mettre en œuvre les directives du garde des Sceaux – ne lui paraissent pas coïncider, fort de la légitimité qu'il tient de la loi elle-même pour l'appliquer, le ministère public recouvre alors son entière liberté d'action.

B. - Statut

1° Unité et hiérarchie

a) Généralités

54. – Les magistrats du ministère public sont placés “sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l'autorité du garde des Sceaux, ministre de la justice. À l'audience, leur parole est libre”(Ord. n° 58-1270, 22 déc. 1958, art. 5).

Cette structure hiérarchique originale, que l'on a pu qualifier de “hiérarchie à contenu variable” (J.-P. Dintilhac, op. cit., p. 67), et qui assure l'unité du ministère public, trouve son origine dans une tradition qui préexistait à la Constitution de la Ve République.

b) Organisation hiérarchique

55. – Tous les membres du ministère public, à l'exception notable du parquet général de la Cour de cassation dont le statut est atypique (V. P. Lyon-Caen, Le parquet général de la Cour de cassation : D. 2003, chron. p. 211. – J. Sainte-Rose, Le parquet général de la Cour de cassation réformé par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme : mythe ou réalité ? : D. 2003, chron. p. 1443. – J. Andrianstsimbazovina, Bien lus, mal compris, mais est-ce bien raisonnable ? : D. 2004, chron. p. 886. – J.-F. Burgelin, La paille et la poutre : D. 2004, chron. p. 1249), sont unis par un lien hiérarchique au sommet duquel se trouve le garde des Sceaux, membre du gouvernement, représentant le pouvoir exécutif.

C'est en cette qualité que le ministre de la justice a autorité sur les procureurs généraux près les cours d'appel dans les conditions précisées à l'article 30 du Code de procédure pénale (V. infra n° 59 à 66).

Ces dispositions, insérées dans un chapitre nouveau intitulé "Des attributions du Garde des Sceaux, ministre de la justice" par la loi du 9 mars 2004(L. n° 2004-204, 9 mars 2004, art. 63 : JO 10 mars2004), consacrent ainsi ce rôle hiérarchique du garde des Sceaux lorsqu'elles disposent, en leurs deux premiers alinéas, que “le ministre de la Justice conduit la politique d'action publique déterminée par le Gouvernement. [...] À cette fin, il adresse aux magistrats du ministère public des instructions générales d'action publique” (CPP, art. 30 nouveau).

L'origine de cet article 30 réside dans les travaux de la commission de réflexion sur la justice qui avait préconisé que la notion de "politique d'action publique" soit inscrite dans la loi, considérant qu'il était souhaitable que celle-ci ait “pour objet d'inscrire le traitement individuel des contentieux (opportunité des poursuites) dans un cadre d'ensemble visant à une application cohérente de la loi, en fixant des priorités compte tenu des circonstances et en veillant au respect de l'égalité entre les citoyens” (Rapport de la commission de réflexion sur la Justice : Doc. fr., 1997).

56. – Les contours de cette organisation hiérarchique du ministère public, qui est atypique à bien des égards, ont été précisés dans la décision du Conseil constitutionnel n° 2004-492 DC du 2 mars 2004 (JO 10 mars 2004, p. 4637).

Statuant sur un recours formé contre cet article 30 nouveau, auquel ses auteurs reprochaient de méconnaître les articles 2 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen et 66 de la Constitution, ainsi que le principe de la séparation des pouvoirs, le Conseil énonce :

Considérant qu'en vertu de l'article 20 de la Constitution le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation, notamment dans le domaine de l'action publique ; que l'article 5 de l'ordonnance du 22 décembre 1958..., portant loi organique relative au statut de la magistrature, place les magistrats du parquet sous l'autorité du ministre de la Justice ; que l'article 30 nouveau du code de procédure pénale, qui définit et limite les conditions dans lesquelles s'exerce cette autorité, ne méconnaît ni la conception française de la séparation des pouvoirs, ni le principe selon lequel l'autorité judiciaire comprend à la fois les magistrats du siège et ceux du parquet, ni aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle...

57. – Il est, d'ailleurs, à noter que dans son rapport d'activité pour l'année 2001, le Conseil supérieur de la magistrature s'était prononcé en faveur du maintien d'une organisation hiérarchique du parquet, considérant que“...l'absence de hiérarchie, et la dispersion des pratiques professionnelles des magistrats du parquet qui en résulterait, seraient de nature à nuire gravement à l'efficacité de leurs missions et heurteraient le principe d'égalité des citoyens devant la loi. En outre, le gouvernement qui “conduit la politique de la nation” ne disposerait pas du moyen lui permettant de mettre en oeuvre les grandes orientations de la politique pénale...” (V. sur cette question : J.-E. Schoettl, Les attributions du ministre de la Justice en matière d'action publique : D. 2004, n° 20, p. 1387).

 

58. – Le procureur général, quant à lui, “a autorité sur tous les officiers du ministère public du ressort de la cour d'appel” (CPP, art. 37).

La loi du 9 mars 2004 a supprimé le second alinéa de ce texte aux termes duquel “à l'égard de ces magistrats, il a les mêmes prérogatives que celles reconnues au ministre de la justice...” pour le remplacer par des dispositions conçues pour être plus explicites, et qui figurent désormais aux deux premiers alinéas de l'article 35 du Code de procédure pénale, qui sont ainsi rédigés : “Le procureur général veille à l'application de la loi pénale dans toute l'étendue du ressort de la cour d'appel et au bon fonctionnement des parquets de son ressort. À cette fin, il anime et coordonne l'action des procureurs de la République ainsi que la conduite de la politique d'action publique par les parquets de son ressort”.

Comme le précise la circulaire du 14 mai 2004(Circ. CRIM 2004-04-E8, 14 mai 2004, Présentation des dispositions de procédure pénale immédiatement applicables de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité : BO min. Justice 2004, n° 94)“ces dispositions clarifient ainsi le rôle du procureur général en affirmant sa mission d'animation et de coordination de l'action des procureurs de la République”.

Mais la clarification annoncée traduit également une volonté de renforcer l'autorité hiérarchique du procureur général sur les procureurs de la République de son ressort ; en témoigne l'insertion d'un troisième alinéa ainsi rédigé : “Sans préjudice des rapports particuliers qu'il établit soit d'initiative, soit sur demande du procureur général, le procureur de la République adresse à ce dernier un rapport annuel sur l'activité et la gestion de son parquet ainsi que sur l'application de la loi”, consacrant ainsi dans la loi, comme le précise la circulaire du 14 mai 2004, “le rapport de politique pénale adressé chaque année [...] par les parquets, de même que l'obligation pour ces derniers de rendre compte des affaires signalées”. En effet, l'état mensuel des affaires du ressort dont l'ancien article 35 du Code de procédure pénale prévoyait qu'il était adressé au procureur général par le procureur de la République était, depuis longtemps, tombé en désuétude.

Note de la rédaction – Mise à jour du 23/02/2017

58 . - Réécriture partielle de l'article 35 du Code de procédure pénale relatif au procureur général

L'article 4 de la loi n° 2013-669 du 25 juillet 2013 relative aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l'actionpublique (JO 26 juill. 2013, p. 12441) a remplacé les alinéas 2 et 3 de l'article 35 du Code de procédure pénale par trois alinéas nouveaux précisant le rôle du procureur général. Le nouveau texte énonce que ce dernier “anime et coordonne l'action des procureurs de la République, tant en matière de prévention que de répression des infractions à la loi pénale. Il précise et, le cas échéant, adapte les instructions générales du ministre de la justice au contexte propre au ressort. Il procède à l'évaluation de leur application par les procureurs de la République”. Le législateur ajoute que “outre les rapports particuliers qu'il établit soit d'initiative, soit sur demande du ministre de la Justice, le procureur général adresse à ce dernier un rapport annuel de politique pénale sur l'application de la loi et des instructions générales ainsi qu'un rapport annuel sur l'activité et la gestion des parquets de son ressort”. Enfin, “il informe, au moins une fois par an, l'assemblée des magistrats du siège et du parquet des conditions de mise en œuvre, dans le ressort, de la politique pénale et des instructions générales adressées à cette fin par le ministre de la Justice en application du deuxième alinéa de l'article 30”.

59. – Enfin, “le procureur de la République a autorité sur les officiers du ministère public près les tribunaux de police de son ressort” (CPP, art. 44).

 

60. – Le pouvoir hiérarchique découlant de cette organisation, se manifeste dans le droit de déclencher et de faire exercer l'action publique, d'exprimer des directives générales du gouvernement, et d'être tenu informé de l'activité judiciaire.

c) Pouvoir hiérarchique dans le déclenchement et l'exercice de l'action publique

61. – "La plume est serve" – C'est ainsi que l'adage ancien exprimait l'obligation, pour le ministèrepublic, de se conformer dans ses réquisitions écrites aux instructions reçues.

Le Code de procédure pénale, confirmant l'usage, prévoit (CPP, art. 33) que le ministère public est tenu de prendre des réquisitions écrites conformes aux instructions qui lui sont données dans les conditions prévues aux articles 36, 37 et 44.

62. – La combinaison de ces dispositions emporte les conséquences suivantes :

c'est aux seuls procureurs généraux que le garde des Sceaux peut adresser ses dénonciations et injonctions (CPP, art. 30 et C. 78) ; à cet égard, la loi du 9 mars 2004 n'a fait qu'insérer, dans un troisième alinéa de l'article 30 précité, les dispositions qui figuraient auparavant à l'article 36, dont la dernière rédaction était consécutive à la loi n° 93-1013 du 24 août 1993 ;

s'il lui est reconnu le droit de prescrire d'engager des poursuites pénales dès lors qu'un fait lui paraît constituer une infraction à la loi pénale, en revanche, l'article 36 du Code de procédure pénale, ne l'autorise pas à interdire l'exercice de l'action publique, c'est à dire à donner des instructions de classement (Cass. crim., 28 juill. 1814 : Bull. crim. 1814, n° 34. – Cass. crim., 14 avr. 1815 : Bull. crim. 1815, n° 26. – Cass. crim., 22 déc. 1827 : Bull. crim. 1827, n° 218) ; cette interprétation, qui est partagée par la doctrine et qui a été réaffirmée en réponse à une question parlementaire le 4 septembre 1995, constitue, en réalité, une limitation du pouvoir hiérarchique édicté par l'article 5 de l'ordonnance précitée (V. supra n° 54) ;

toutefois, une fois l'action publique engagée, s'agissant de soutenir l'accusation, le garde des Sceaux peut légalement ordonner de déposer, à tous les stades de la procédure, toutes réquisitions écrites qu'il jugera opportunes, c'est à dire non seulement dans le sens de la poursuite, mais aussi dans celui du non-lieu, de la relaxe ou de l'acquittement ;

ses instructions doivent être écrites et versées au dossier (CPP, art. 30, al. 3) ; il est admis que cette règle concerne toutes les instructions adressées dans un dossier particulier, quel que soit le stade procédural auquel elles interviennent.

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62 . - Suppression du pouvoir du garde des Sceaux de donner des instructions individuelles

L'article 30 du Code de procédure pénale a été modifié par l'article 1er de la loi n° 2013-669 du 25 juillet 2013 relative aux attributions du garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l'action publique (JO 26 juill. 2013, p. 12441) afin de supprimer la prérogative qui appartenait au ministre de la Justice de donner des injonctions de poursuite dans des dossiers particuliers. Si l'alinéa 2 du texte énonce qu'il “adresse aux magistrats duministère public des instructions générales”, l'alinéa 3 dispose désormais qu'“il ne peut leur adresser aucune instruction dans des affaires individuelles”. Il convient cependant de noter que l'article 36 du Code de procédure pénale, qui permet au procureur général de donner des instructions individuelles au procureur de la République n'a pas été modifié.

63. – Article 30 (nouveau) du Code de procédure pénale – Cette rédaction de l'article 30, résultant des trois lois n° 93-2 du 4 janvier 1993, n° 93-1013 du 24 août 1993 et n° 2004-204 du 9 mars 2004, devrait aboutir à une parfaite clarification des rôles et attributions de chacun alors que, dans le passé, certains gardes des Sceaux avaient eu tendance à considérer les magistrats du parquet comme de simples délégataires d'un pouvoir propre dévolu à la Chancellerie, tandis que le souci de "se couvrir" de quelques magistrats du parquet pouvait aboutir à un abandon pur et simple des pouvoirs et prérogatives qui leur sont conférés par la loi.

Dans une circulaire du 24 novembre 1930(JO 26 nov. 1930), le garde des Sceaux de l'époque écrivait, à ce propos, que “les parquets généraux, dans les affaires délicates, ont une trop grande tendance à abriter leurs réquisitions derrière l'avis de la chancellerie... j'entends, en matière de poursuites pénales, quelles que soient les personnes en cause, que les chefs du parquet se décident, d'après les seules inspirations de leur conscience, dans le cadre des prescriptions de la loi. Dans ma pensée, cette mesure est destinée, en développant le sentiment de la responsabilité chez les représentants du ministère public, à élever encore leur conscience professionnelle et à fortifier l'indépendance de la magistrature, garantie essentielle de notre droit public”.

64. – La question se pose, alors, de savoir dans quelle mesure les magistrats du parquet sont tenus d'obéir aux instructions reçues. Un point est certain : dans la rédaction de ses réquisitions et conclusions écrites, le magistrat du ministère public est tenu de se conformer aux instructions reçues de ses supérieurs hiérarchiques, sauf à commettre une faute professionnelle.

Il reste, cependant, qu'en pratique un chef de parquet ne peut matériellement adresser aux magistrats du parquet des instructions expresses pour chacune des procédures qui sont traitées, et ceux-ci n'ont, d'ailleurs, pas à les solliciter dès lors qu'ils tiennent leur pouvoir de la loi. Il leur appartient, en conséquence, lorsqu'ils sont confrontés à des situations délicates, inédites ou incertaines, d'en aviser préalablement leur supérieur hiérarchique afin de mettre ce dernier en mesure de faire connaître son point de vue, voire ses instructions, pour le traitement du dossier en cause.

65. – Clause de conscience – Cette situation amène à se poser la question, non résolue par les textes en l'état actuel du droit de savoir si un magistrat du parquet pourrait invoquer la clause de conscience pour refuser d'exécuter une instruction de son supérieur hiérarchique.

La situation envisagée ne correspond pas à celle de l'ordre illégal, qui est classiquement résolue par le recours à la théorie dite des "baïonnettes intelligentes", mais à celle de la légalité des instructions reçues, s'inscrivant dans le respect des valeurs laïques et républicaines.

Il semble inconcevable de nier le droit de chacun de s'abstenir d'accomplir un acte contraire à sa conscience, dès lors toutefois que celui qui le revendique expose des motifs objectivement pertinents. Le devoir de loyauté doit, alors, conduire le substitut à aviser préalablement son supérieur hiérarchique de manière à lui laisser la possibilité de s'organiser pour faire accomplir ou accomplir lui-même l'acte en question. L'exception serait toutefois celle où un substitut serait seul présent au parquet, durant une période prolongée, et où personne ne pourrait le remplacer, de telle sorte que le cours de l'actionpublique serait interrompu.

66. – "La plume est serve, mais la parole est libre" – En revanche, lorsqu'il est à l'audience, le magistrat du parquet ne relève plus que de la loi et de sa conscience. C'est ce qu'exprimait, dès l'ancien régime, un adage qui résume le véritable caractère des magistrats du ministère public – “La plume est serve, mais la parole est libre” – qu'ont tenu à consacrer expressément les articles 33 du Code de procédure pénale et 5 de l'ordonnance du 22 décembre 1958.

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66 . - Conformité aux normes constitutionnelles de l’article 33 du Code de procédure pénale

Il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article 5 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature et à l’article 33 du Code de procédure pénale. En effet, la parole duministère public est libre et, partie au procès, il est indépendant dans l'exercice de ses fonctions et a le droit de dire à l'audience, nonobstant ses réquisitions écrites, tout ce qu'il croit convenable au bien de la justice, sauf le droit des parties de combattre les arguments présentés par lui (Cass. crim., 17 janv. 2017, n° 16-86.077 : JurisData n° 2017-000575).

67. – Mais, si les textes ont été conservés, il faut bien voir, cependant, que depuis une dizaine d'années, leur application ne soulève plus de réelle difficulté pratique.

Il en est ainsi pour deux raisons essentielles : d'abord, parce que, depuis 1993, les gardes des Sceaux successifs ont tous fait savoir, avec parfois quelques nuances pour certains, qu'ils n'entendaient pas user, ou n'en user qu'avec modération, de leur droit d'adresser des instructions particulières ; ainsi, cette subtile construction se trouve-t-elle privée d'une bonne partie de sa raison d'être et de son intérêt. Ensuite, parce que les procureurs généraux, le plus souvent de leur initiative ou, parfois, sur invitation de la chancellerie, organisent périodiquement des réunions de concertation avec les procureurs de la République de leur ressort, qui en font de même avec les officiers de police judiciaire et qui sont, eux-mêmes, tenus informés en temps réel des faits délictueux commis dans leur circonscription ; ces réunions, au cours desquelles sont définies des orientations générales pour la conduite de l'action publique sur le ressort, permettent de prévenir, dans une large mesure, d'éventuelles divergences ultérieures sur l'appréciation des affaires et l'opportunité de telles ou telles réquisitions spécifiques.

Ainsi qu'il a été dit (V. supra n° 56), la clarification opérée par la nouvelle rédaction de l'article 30 du Code de procédure pénale s'inscrit, à l'évidence, dans la recherche d'un tel objectif.

68. – Il n'en demeure pas moins que tant que les rapports procureur-substitut ne seront pas plus clairement définis, des difficultés demeureront en germe puisqu'il n'est pas contestable qu'un substitut n'agit pas uniquement par délégation de son procureur, mais qu'il tient ses pouvoirs directement de la loi (CPP, art. 1er)“Il faut réfléchir à une conception nouvelle permettant de concilier l'indivisibilité du parquet, la mise en œuvre de politiques pénales et l'autonomie du magistrat du ministère public” (G. Accomando, op. cit., p. 100).

 

69. – "La parole est libre" – Bien avant d'être consacré par les textes, cet adage traditionnel sur la liberté de parole à l'audience a toujours été considéré comme une règle inhérente au fonctionnement du ministère public.

Elle permet au représentant du parquet de développer librement, à l'audience, les observations orales qu'il croit convenables au bien de la justice (CPP, art. 33) et consacre l'indépendance qu'il tient de sa qualité de magistrat.

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69 . - "La parole est libre"

La volonté du ministère public de se désister de son appel ne saurait se déduire de ce que, appelant d'un jugement de relaxe, il a en demandé la confirmation, dès lors qu'il n'a fait qu'user de la liberté de parole que lui confère l'article 33 du Code de procédure pénale (Cass. crim., 16 mai 2012, n° 11-83.834, F-P+B : JurisData n° 2012-010048 ; Bull. inf. C. cass. 1er nov. 2012, n° 1160 ; Gaz. Pal. 6/7 juill. 2012, chron. de jurisp droit du dommage corporel, A. Renelier ; Gaz. Pal. 27/28 juill. 2012, chron. de jurisp. droit pénal, S. Detraz).

Le demandeur ne saurait se faire un grief de ce que l'avocat général, qui représentait également leministère public devant la cour d'assises ayant jugé l'affaire en première instance, ait fait allusion au comportement de l'accusé devant cette juridiction dés lors, d'une part, que le ministère public, dont la parole est libre, peut, en application de l'article 33 du Code de procédure pénale, exprimer ce qu'il croit utile à l'accomplissement de sa mission et, d'autre part, que toutes les parties, notamment l'accusé et son avocat, ont pu lui répliquer (Cass. crim., 22 juin 2016, n° 15-82.685 : JurisData n° 2016-012105).

70. – La raison d'être de cette règle est la suivante : à l'audience pénale, le déroulement d'une affaire prend parfois une tournure imprévue, sinon imprévisible ; le ministère public, qui est nécessairement partie, ne peut alors demeurer dans une attitude figée, mais doit pouvoir rapidement intervenir oralement de manière impromptue, au vu des débats, des témoignages, des déclarations des parties.

De surcroît, s'il lui revient de soutenir l'accusation, il doit cependant veiller à le faire dans le respect des grands principes de respect du contradictoire et de la présomption d'innocence, et doit prendre en considération une éventuelle évolution survenant, en cours d'audience, dans la consistance des charges. S'il était obligatoirement tenu par les instructions qui lui ont été données, sa présence à l'audience ne deviendrait-elle pas inutile dans une telle hypothèse ?

 

71. – C'est pourquoi la doctrine et la jurisprudence ont toujours affirmé que, même si une poursuite a été exercée sur l'ordre du ministre ou sur celui du supérieur hiérarchique, le magistrat du ministèrepublic peut, à l'audience, conclure contre l'exercice même de cette poursuite. Il a la libre initiative de la parole et la pleine liberté de la nature et du contenu de ses réquisitions, et n'a aucun ordre à recevoir quant à ses conclusions orales : il ne doit exprimer, à l'audience, que l'opinion personnelle que lui dictent la loi et sa conscience.

 

72. – Le principe de la liberté de parole, constamment affirmé par la jurisprudence, a été clairement exprimé :

Cass. crim., 14 pluviôse, an XII (3 févr. 1803) : JCP G 1956, I, 1271, n° 6, M. Rolland, Leministère public.

Il faut distinguer dans un officier du ministère public deux caractères différents, celui d'agent de la société pour la poursuite des délits et celui d'organe de la loi pour requérir l'application des peines aux prévenus qui sont l'objet de cette poursuite. Lorsque les prévenus lui paraissent coupables et dans le cas d'une application d'une loi pénale, ses fonctions d'organe de la loi se trouvant en harmonie avec celles d'agent de la société, il donne, sous le premier rapport, un avis en faveur de l'action qu'il a intentée sous le second. Mais, si les prévenus lui paraissent innocents, ou s'il pense qu'aucune disposition du Code pénal ne leur est applicable, alors l'organe de la loi est impassible comme elle ; il propose, en cette qualité le rejet de la demande qu'il a formée comme agent de la société ; mais la demande qu'il a formée comme agent de la société n'en subsiste pas moins, le tribunal qu'il en a constitué juge n'en demeure pas moins saisi et c'est à la conscience des magistrats à décider si c'est à tort ou à raison que l'organe de la loi opère contre l'organe de la société.

73. – L'année suivante, le 24 vendémiaire, an XIII (16 octobre 1804), lors des discussions qui s'étaient tenues au Conseil d'État à l'occasion de la rédaction du Code d'instruction criminelle, allant dans le même sens, Treilhard déclarait :

M. Rolland, op. cit.

L'empereur et ses ministres peuvent seuls connaître ce qui convient à la sûreté publique ; il serait dangereux de permettre au procureur général de s'en rendre juge, il est obligé de se conformer aux ordres qu'il reçoit pour entamer les poursuites. Ensuite, il devient l'homme de la justice, et les ordres supérieurs ne règlent pas ses conclusions ; la question est, au surplus, oiseuse : car jamais le garde des Sceaux ne dictera à un procureur général ses conclusions au fond.

L'accord de tous les criminalistes est fait sur ce point :

M. Rolland, op. cit.

Le pouvoir exécutif peut imposer au Parquet des actes. Mais il ne peut lui imposer une opinion. Il peut prescrire une poursuite, un appel, un pourvoi, mais il ne peut enchaîner une opinion qui puise ses éléments dans le débat et le contraindre à requérir une peine qu'il trouverait injuste, ou un acquittement qu'il trouverait injustifié.

74. – Mais, pour autant que ce consensus existât, il n'était pas indifférent que la loi vienne l'affirmer solennellement dans des dispositions expresses.

 

75. – C'est, d'abord, l'ordonnance du 1er juin 1828 sur les conflits d'attribution entre les tribunaux et l'autorité administrative, dans son article 6 toujours en vigueur, qui précise : “Le procureur de la République fera connaître, dans tous les cas, au tribunal la demande formée par le préfet et requerra le renvoi que si la revendication lui paraît fondée”.

 

76. – C'est, ensuite, l'article 5 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 qui, après avoir rappelé que les magistrats sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l'autorité du garde des Sceaux, ministre de la Justice, ajoute que “à l'audience, leur parole est libre”.

 

77. – C'est, enfin et surtout, l'article 33 du Code de procédure pénale qui énonce le principe de la liberté de parole : “[Le ministère public] est tenu de prendre des réquisitions écrites, conformes aux instructions qui lui sont données dans les conditions prévues aux articles 36, 37 et 44. Il développe librement les observations orales qu'il croit convenables au bien de la justice”.

La formule de l'article 33 a été empruntée (A. Besson, R. Vouin et P. Arpaillange, Code annoté de procédure pénale : t. 1, art. 33, Paris, 1958) à un arrêt de la Cour de cassation qui confirmait l'adage ancien :“Attendu que la parole du ministère public à l'audience est libre, qu'il est indépendant dans l'exercice de ses fonctions, qu'il a le droit de dire tout ce qu'il croit convenable au bien de la justice comme de produire tous les documents et de donner toutes les explications qui lui paraissent utiles, sauf le droit des parties en cause de discuter les documents produits et de combattre les arguments présentés par le ministère public” (Cass. crim., 7 juill. 1949 : Bull. crim. 1949, n° 230. – V. également Cass. crim., 23 nov. 1950 : Bull. crim. 1950, n° 431 ; JCP G 1951, II, 5966. –

Cass. crim., 16 oct. 1974 : Bull. crim. 1974, n° 296. – Cass. crim., 13 mai 1976 : Bull. crim. 1976, n° 157).

Cette jurisprudence n'a pas varié depuis la promulgation du Code de procédure pénale. Elle énonce toujours le même principe et en tire les mêmes conséquences (V. Cass. crim., 28 mars 1966 : Bull. crim. 1966, n° 117. – Cass. crim., 23 juin 1980 : Gaz. Pal. 1981, 1, p. 244, note PLG. – Cass. crim., 19 nov. 1981 : Bull. crim. 1981, n° 308. – Cass. crim., 9 déc. 1981 : Bull. crim. 1981, n° 327 ; D. 1983, jurispr. p. 352, note Jeandidier. – Cass. crim., 7 août 1982 : Juris-Data n° 1982-702082).

78. – Pour autant, cette liberté de parole doit s'articuler avec le devoir de loyauté, l'organisation hiérarchique et l'indivisibilité du parquet, ce qui doit conduire le magistrat à faire connaître à sa hiérarchie qu'il entend développer oralement des conclusions ou des réquisitions non conformes, laissant ainsi la possibilité à son supérieur d'apprécier l'opportunité de laisser faire le récalcitrant, de le remplacer ou de le faire remplacer sur le dossier en question.

L'expérience démontre qu'à chaque fois que s'instaure ce dialogue préalable, loyal, corollaire du lien de subordination, du principe d'indivisibilité et du devoir de loyauté, la liberté de parole conserve ses droits. La question n'est pas, pour le substitut, de demander l'autorisation de s'exprimer librement, mais d'aviser qu'il s'apprête à le faire, comme il aviserait tout autant son supérieur qu'il s'apprête à prendre telle ou telle décision dans des cas délicats.

79. – Exemples – Se fondant sur les dispositions de l'article 33, la Cour de cassation a, notamment, admis que le représentant du ministère public pouvait, sans violation de la loi :

faire état, devant la cour d'assises, d'une déclaration de la mère de l'accusé, laquelle aurait contesté les termes de cette déclaration (Cass. crim., 22 avr. 1958 : Bull. crim. 1958, n° 326) ;

faire état de constatations personnelles et rapporter des propos tenus par des personnes présentes à l'audience (Cass. crim., 13 mai 1976 : Bull. crim. 1976, n° 157) ;

rendre compte verbalement à la cour d'assises des démarches qu'il a entreprises pour sauvegarder les intérêts civils de la victime en l'avisant, au cours d'une suspension d'audience, de la possibilité pour elle de se constituer partie civile (Cass. crim., 13 mai 1978 : Bull. crim. 1978, n° 178) ;

faire état de renseignements fournis par la partie civile en dehors de l'audience (Cass. crim., 28 avr. 1921 : Bull. crim. 1921, n° 185).

80. – De même, a-t-il été considéré que le représentant du ministère public pouvait produire tous les documents qui lui paraissaient utiles et en donner lecture, à la seule condition que les autres parties soient mises en mesure de les examiner et de les discuter (Cass. crim., 16 oct. 1974 : Bull. crim. 1974, n° 296. – Cass. crim., 4 mai 1988 : Bull. crim. 1988, n° 193. – Cass. crim., 9 mars 1994 : Bull. crim. 1994, n° 92. – Cass. crim., 30 oct. 1996 : Bull. crim. 1996, n° 387. – Cass. crim., 8 janv. 1997 : Juris-Data n° 1997-000568 ; Bull. crim. 1997, n° 5. – Cass. crim., 11 juill. 2001 : Juris-Data n° 2001-010723 ; Bull. crim. 2001, n° 167).

En revanche, seule la juridiction de jugement saisie peut ordonner des investigations complémentaires par voie de supplément d'information ; doit donc être cassé l'arrêt d'une cour d'appel qui a refusé d'annuler les rapports et procès-verbaux, versés aux débats, de l'enquête préliminaire ordonnée par leministère public relativement aux faits dont la juridiction de jugement était saisie (Cass. crim., 8 déc. 1999 : Bull. crim. 1999, n° 298). Mais les renseignements obtenus avant l'ouverture des débats par le procureur de la République, qui se bornent à compléter les éléments de l'enquête à l'issue de laquelle leministère public a saisi la juridiction répressive, ne constituent pas un supplément d'information violant les droits de la défense (Cass. crim., 27 avr. 2000 : Bull. crim. 2000, n° 173).

81. – Compte tenu de la règle de l'oralité des débats qui gouverne l'audience de la cour d'assises, c'est surtout à l'occasion d'incidents survenus devant cette juridiction que la jurisprudence s'est développée sur ce point.

Il a, ainsi, été jugé que par la lecture publique qui est faite des pièces produites à l'audience par leministère public, l'accusé en acquiert une connaissance suffisante pour les apprécier et en débattre(Cass. crim., 16 juill. 1863 : Bull. crim. 1863, n° 195). Il n'en reste pas moins que les documents nouveaux doivent être tenus à la disposition de la défense, à qui ils seront communiqués si elle en fait la demande (Cass. crim., 17 juin 1976 : Bull. crim. 1976, n° 219). L'accusé ou son conseil peuvent obtenir une suspension d'audience pour en prendre connaissance et pouvoir les discuter (Cass. crim., 16 oct. 1974 : Bull. crim. 1974, n° 296). Un arrêt très ancien avait même admis qu'ils pouvaient solliciter le renvoi de l'affaire à une autre session (Cass. crim., 16 juill. 1863, préc.). La défense doit, comme il est de principe, avoir la parole en dernier. Si le ministère public fait usage de pièces nouvelles au cours de sa réplique, le conseil de l'accusé ou l'accusé lui-même doivent pouvoir, après avoir pris connaissance des documents produits, présenter en réplique une défense complémentaire (Cass. crim., 17 juin 1976, préc.). Mais la procédure serait viciée s'il était refusé au conseil de l'accusé de prendre connaissance des pièces produites et de les discuter (Cass. crim., 8 sept. 1887 : Bull. crim. 1887, n° 333).

82. – Nul ne peut s'opposer à la production, par le ministère public, de pièces étrangères à la procédure (Cass. crim., 20 janv. 1848 : DP 1849, 1, p. 64). En usant, à la demande de la défense, de son pouvoir discrétionnaire pour interdire à l'avocat général de produire des pièces nouvelles, le président de la cour d'assises mettrait obstacle à l'exercice des droits du ministère public et commettrait ainsi un excès de pouvoir (Cass. crim., 17 juin 1976, préc. n° 81).

 

83. – L'article 11 du Code de procédure pénale n'interdit pas d'annexer à une procédure pénale des éléments d'une autre procédure dont la production peut être de nature à éclairer les juges et à contribuer à la manifestation de la vérité ; la seule condition exigée est qu'une telle jonction ait un caractère contradictoire et que toutes les parties intéressées aient pu en débattre (Cass. crim., 30 nov. 1976 : Bull. crim. 1976, n° 345. – Cass. crim., 8 mars 1989 : Juris-Data n° 1989-701420 ; Bull. crim. 1989, n° 115).

Cette solution a même été admise pour le versement de pièces provenant d'une procédure encore en cours d'instruction (Cass. crim., 2 oct. 1981 : Bull. crim. 1981, n° 256. – V. infra Art. 306 à 316, fasc. 20, H. Angevin).

84. – Le pouvoir propre – Le magistrat du ministère public, en sa qualité de membre du corps judiciaire, est investi directement par la loi d'un pouvoir qui lui est propre (CPP, art. 1er).

Plus spécialement, le procureur de la République a seul le droit de mettre en mouvement et d'exercer l'action publique, ses supérieurs hiérarchiques, qu'il s'agisse du procureur général ou, a fortiori, du garde des Sceaux, ne pouvant se substituer à une éventuelle inertie de sa part (pour une opinion contraire, V. M.-L. Rassat, Le parquet au regard de la législation interne, op. cit., p. 104).

C'est donc par un abus de langage que certains procureurs généraux continuent de qualifier les procureurs de la République de leur ressort de "substituts" ; en effet, s'ils peuvent leur adresser des instructions, ils ne peuvent, en aucun cas, se substituer à eux pour exécuter celles auxquelles ils s'opposeraient.

85. – Nul ne peut donc agir à la place du procureur de la République, si ce n'est sur délégation directe de sa part : il en est ainsi, au sein du parquet, de ses substituts et, pour ce qui les concerne, des officiers du ministère public près les tribunaux de police du ressort.

Il n'existe ainsi, pour l'autorité hiérarchique, aucun pouvoir de substitution, aucun moyen de saisir les juridictions répressives en cas de refus du procureur de la République, ni d'éviter qu'elles ne soient saisies si le procureur de la République en décidait contrairement aux instructions reçues de ses supérieurs hiérarchiques.

Du fait de son insubordination, le procureur de la République téméraire pourrait encourir des observations, voire s'exposer à des poursuites disciplinaires sur le terrain de la loyauté, mais cela n'affecterait en rien la régularité et la validité des actes juridiques de poursuite qu'il aurait accomplis. De même, personne ne pourrait se substituer à lui s'il refusait d'agir dans le sens qui est préconisé par ses supérieurs hiérarchiques.

86. – De l'existence et de la nature de ce pouvoir propre découlent plusieurs conséquences : d'abord, du fait de l'organisation hiérarchique du parquet, le procureur de la République est le chef de son parquet et, ni le ministre, ni le procureur général, ne sauraient adresser directement d'instructions à l'un de ses substituts, sauf, évidemment, à considérer qu'elles seraient destinées au procureur de la République lui-même.

Ensuite, la poursuite engagée par le procureur de la République, même contre les directives de sa hiérarchie, resterait régulière, engagerait valablement l'action publique et emporterait régulièrement saisine de la juridiction, sans que les éventuelles remontrances, voire l'action disciplinaire intentée, n'affectent la régularité procédurale de cette saisine.

La juridiction saisie devrait alors statuer après avoir vérifié la légalité de la poursuite, et ne pourrait se refuser à le faire au prétexte de rechercher si le procureur de la République, ce faisant, avait suivi ou non les instructions qui lui avaient été adressées : l'opportunité de la poursuite ne peut être mise en cause par la juridiction, quelle qu'elle soit, et la poursuite engagée est régulière et demeure valable.

87. – Au stade de l'engagement des poursuites, une telle situation est, au demeurant, peu concevable puisque, comme cela a été exposé, si le ministre a le droit de prescrire aux procureurs généraux de poursuivre les faits qui lui paraissent constituer des infractions à la loi pénale, et qu'il en est de même du procureur général à l'égard du procureur de la République, les articles 30, dernier alinéa, et 36 du Code de procédure pénale étant rédigés en termes identiques, la loi ne les autorise pas, dans l'interprétation qui en est donnée, à interdire l'exercice de l'action publique.

En revanche, une telle divergence peut survenir lorsque, une fois les poursuites engagées, il s'agit de soutenir l'accusation. Dans une telle hypothèse, il nous semble que le recours au principe précédemment rappelé ("la plume est serve, mais la parole est libre") doit permettre de résoudre toute éventuelle difficulté.

88. – Enfin, les magistrats du ministère public peuvent prendre librement l'initiative de poursuites sans en référer à quiconque, et leur situation vis à vis de la hiérarchie a pu être ainsi résumée par le procureur général Bellart : “Quand le ministère public ne doute pas, quand un délit est évident, le magistrat chargé du triste devoir de poursuivre doit-il, avant tout, prendre ou attendre les ordres du gouvernement ? S'il en était ainsi, le ministère public, qu'on a accusé d'agir sous l'influence du gouvernement, n'aurait plus rien à répondre à cette imputation, quand on jugerait convenable de la reproduire. Le ministère public doit agir spontanément, sans qu'il ait besoin de recevoir l'autorisation de personne” (DP 1862, 1, p. 5, ss Cass. crim. 22 janv. 1862, cité par Rolland, op. cit., n° 6).

 

89. – Cette nécessaire indépendance du parquet a, d'ailleurs, été soulignée par deux textes internationaux : d'abord, une recommandation de la sous-commission des Nations Unies sur l'indépendance judiciaire et les droits de l'Homme, ainsi rédigée (Gaz. Pal. 25-26 nov. 1981, p. 21 – V. D. Mayer, Le pouvoir propre des chefs de Parquet, tantôt pouvoir de désobéissance, tantôt pouvoir autonome de décision : D. 1992, p. 426) :

Art. 29. – L'indépendance des procureurs et des avocats et le courage et la conscience avec lesquels ils s'acquittent de leurs devoirs professionnels respectifs sont indispensables pour renforcer l'indépendance des juges et pour garantir la justice, la liberté et le respect de la légalité, ainsi que pour la protection des droits de l'Homme de toutes les personnes dans toute la société.

90. – Ensuite, plus récemment, la recommandation 2000 (19) du Conseil de l'Europe sur "le rôle duministère public dans le système de justice pénale", adoptée par le Comité des ministres le 6 octobre2000, a précisé les principes directeurs dont devaient s'inspirer les parquets. Elle définit, d'abord, leministère public comme “l'autorité chargée de veiller, au nom de la société et dans l'intérêt général, à l'application de la loi lorsqu'elle est pénalement sanctionnée, en tenant compte, d'une part, des droits des individus et, d'autre part, de la nécessaire efficacité du système de justice pénale” (Recomm. n° 2000 (19), art. 1er).

S'agissant, ensuite, des “garanties reconnues au ministère public pour l'exercice de ses activités” (Recomm. n° 2000 (19), art. 4 à 10), elle contient, outre des garanties en terme de recrutement, de statut, de déroulement de carrière et de formation, deux dispositions novatrices : elle préconise, en premier lieu,“s'agissant de l'organisation et du fonctionnement interne du ministère public notamment la répartition des affaires et l'évocation des dossiers, [qu'] elle doive répondre à des conditions d'impartialité et être exclusivement guidées par le souci du bon fonctionnement du système de justice pénale, notamment la prise en considération du niveau de qualification juridique et de spécialisation” (art. 9). En second lieu, la recommandation prévoit que “tout membre du ministère public a le droit de demander que les instructions qui lui sont adressées le soient sous forme écrite. Au cas où une instruction lui paraîtrait illégale ou contraire à sa conscience, une procédure interne adéquate devrait permettre son remplacement éventuel” (art. 10. – V. sur cette question, M. Robert, La recommandation 2000 (19) du Conseil de l'Europe sur les principes directeurs pour les ministères publics d'Europe : Rev. sc. crim. 2002, p. 47).

d) Directives générales du garde des Sceaux

91. – Les conditions dans lesquelles le ministre de la Justice peut, dans le cadre d'une affaire déterminée, adresser à un procureur général des instructions précises, en application de l'article 30, alinéa 3 du Code de procédure pénale, ont été précédemment étudiées, de même qu'a été précisé l'usage que, depuis une dizaine d'années, les différents gardes des Sceaux avaient annoncé en faire, ou plus exactement selon les cas, ne pas en faire ou ne pas en abuser (V. supra n° 63).

Mais qu'en est-il des directives du garde des Sceaux sur l'attitude à adopter par l'ensemble des parquets dans telles ou telles circonstances qui sont adressées aux procureurs généraux, et quasi-systématiquement, aux procureurs de la République ? Jusqu'à l'intervention de la loi du 9 mars 2004 qui en a consacré l'existence dans la nouvelle rédaction donnée par ce texte à l'article 30, alinéa 2 du Code de procédure pénale, ces circulaires, appelées généralement de politique pénale ou d'action publique, n'étaient expressément prévues par aucun texte législatif ou réglementaire, alors même qu'elles pouvaient parfois prendre la forme très volumineuse et détaillée de véritables guides méthodologiques.

Aussi considérait-on qu'elles trouvaient leur fondement juridique dans l'article 5 de l'ordonnance précitée (V. supra n° 54) et dans l'article 20 de la constitution (V. G. Accomando, op. cit., p. 91).

92. – Néanmoins, l'application de ces instructions peut se heurter aux dispositions de l'article 33 du Code de procédure pénale. Or, l'opinion du gouvernement, outre qu'il est légitime qu'elle soit exprimée, peut parfois être utile au ministère public. En effet, la qualité de certaines infractions peut être différente selon qu'on l'envisage en elle-même ou par rapport à une situation générale que peut apprécier le gouvernement.

De même, en présence d'une loi nouvelle, n'est-il pas inutile que les différents ministères concernés par son application (Justice, Intérieur, Défense, Affaires Sociales, notamment) puissent avoir une interprétation uniforme des dispositions considérées, d'autant que les aléas de la procédure parlementaire, qui permet, par le biais d'un amendement d'insérer une disposition qui n'avait pas été initialement envisagée, rendent parfois indispensable de préciser l'intention du législateur.

93. – Quoiqu'il en soit, la décision appartient finalement au seul magistrat du ministère public.

Une circulaire de la chancellerie du 29 janvier 1828 avait, d'ailleurs, nettement posé le principe de la liberté d'appréciation du magistrat du parquet en ces termes (M.-L. Rassat, op. cit., n° 307) : “Il appartient au ministère public d'examiner librement s'il y a lieu ou non de donner suite aux dénonciations qui lui sont portées... le ministère public qui est chargé de veiller au maintien de l'ordre public et d'assurer la paix de la société, décide seul si cet ordre ou cette paix ont été troublés et si, par conséquent, il est nécessaire ou convenable d'intenter une action publique”.

94. – Il doit, enfin, être précisé que si les procureurs généraux, et les procureurs de la République, ainsi qu'il a été dit, sont les destinataires habituels "pour exécution" de ces circulaires, les premiers présidents et les présidents en sont également, de plus en plus fréquemment, destinataires "pour information".

Ainsi, parfaitement et directement informés des orientations de la politique pénale définie par le garde des Sceaux, les magistrats du siège sont en mesure de mieux comprendre et mesurer les enjeux de l'action publique conduite localement par le parquet et le contenu et la teneur des réquisitions développées à l'audience.

Au sein des juridictions, les assemblées générales et instances de concertation, notamment celles que la pratique a introduites sous l'appellation de "conférences pénales", permettent également au chef du parquet d'exposer les grandes orientations de l'action publique qu'il entend conduire.

95. – Depuis quelques années, la chancellerie a souhaité, s'inscrivant en cela dans une politique mise en œuvre par d'autres administrations centrales, développer une politique d'évaluation de l'application des nouvelles lois et des actions de politique pénale. Il est ainsi, fréquemment, demandé aux procureurs généraux, au terme d'un délai fixé qui est généralement de quelques mois, de lui faire connaître les premiers résultats de l'action conduite dans le domaine considéré, en assortissant les données statistiques demandées de tous commentaires et observations utiles ; souvent, un modèle d'imprimé à renseigner est même annexé à la circulaire ; parfois, un cabinet d'audit privé est ensuite chargé d'effectuer un bilan de l'action pour le compte de la Chancellerie.

e) Droit à l'information du garde des Sceaux

96. – Ainsi qu'il a été exposé, le procureur de la République tient de la loi un pouvoir propre qui limite singulièrement la rigidité du principe de la subordination hiérarchique (V. supra n° 84).

97. – Mais, s'il est normal qu'un procureur de la République exerce ses pouvoirs dans leur plénitude, il ne doit pas omettre de renseigner exactement le procureur général, et celui-ci à son tour, la Chancellerie, non pas tant sur l'activité judiciaire du ressort en tant que telle mais, plutôt, sur les affaires que, du fait de leur impact réel ou éventuel en termes d'ordre public local on qualifie dans le jargon d'"affaires signalées".

Il convient, en effet, d'éviter que le garde des Sceaux ne soit informé des principaux dossiers judiciaires en cours par d'autres départements ministériels, dont les services sont les auxiliaires habituels de l'autorité judiciaire pour l'accomplissement des missions de police judiciaire (police et gendarmerie), voire par la presse ou tout autre moyen d'information ; la nécessité d'une information directe et fiable est d'autant plus évidente que le ministre peut, parfois, être amené à devoir s'expliquer, par le biais d'une question ou d'un courrier émanant d'un parlementaire, sur le fonctionnement de la justice ou l'état de la délinquance.

Si les prescriptions de l'article 35 ancien du Code de procédure pénale, qui prévoyaient que le procureur de la République adressait mensuellement au procureur général un état des affaires de son ressort, étaient tombées en désuétude, il est, en revanche, du devoir du procureur de la République de tenir le procureur général très exactement informé des dossiers les plus sensibles, lequel, à son tour, appréciera l'opportunité de rendre compte à la direction compétente à la Chancellerie – la direction des affaires criminelles et des grâces –, et parfois simultanément au cabinet du ministre (V. J.-Cl. Pratique des Parquets et de l'Instruction V° Parquet, fasc. 70, Avis et rapports à adresser par les Parquets et V° États et rapports périodiques).

Ainsi qu'il a été dit précédemment (V. supra n° 58), la nouvelle rédaction de l'article 35 du Code de procédure pénale a légalement consacré l'obligation pesant sur le procureur de la République de rendre compte au procureur général des affaires signalées.

Note de la rédaction – Mise à jour du 23/02/2017

97 à 100 . - Réécriture partielle de l'article 35 du Code de procédure pénale

L'article 4 de la loi n° 2013-669 du 25 juillet 2013 relative aux attributions du garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l'actionpublique (JO 26 juill. 2013, p. 12441) a remplacé les alinéas 2 et 3 de l'article 35 du Code de procédure pénale par trois alinéas nouveaux précisant le rôle du procureur général. Le nouveau texte énonce que ce dernier “anime et coordonne l'action des procureurs de la République, tant en matière de prévention que de répression des infractions à la loi pénale. Il précise et, le cas échéant, adapte les instructions générales du ministre de la Justice au contexte propre au ressort. Il procède à l'évaluation de leur application par les procureurs de la République”. Le législateur ajoute que “outre les rapports particuliers qu'il établit soit d'initiative, soit sur demande du ministre de la Justice, le procureur général adresse à ce dernier un rapport annuel de politique pénale sur l'application de la loi et des instructions générales ainsi qu'un rapport annuel sur l'activité et la gestion des parquets de son ressort”. Enfin, “il informe, au moins une fois par an, l'assemblée des magistrats du siège et du parquet des conditions de mise en œuvre, dans le ressort, de la politique pénale et des instructions générales adressées à cette fin par le ministre de la Justice en application du deuxième alinéa de l'article 30”.

98. – De plus en plus fréquemment, le compte rendu au procureur général puis par ce dernier à la Chancellerie, s'effectue par téléphone, grâce à la mise en place d'un système de permanence, fonctionnant de jour comme de nuit, analogue à celui existant dans chaque parquet ; aussi, le rapport écrit n'est-il plus utilisé, pour signaler une affaire particulière, que dans des cas peu fréquents.

En pratique, seules les affaires les plus significatives et les plus médiatisées font l'objet de compte rendu à la chancellerie ; depuis quelques années, s'y ajoutent les affaires concernant les atteintes graves à la santé publique, de manière à permettre, en application du principe de précaution, aux administrations concernées la mise en œuvre de procédures préventives ou curatives pertinentes.

99. – Enfin, le procureur général peut se faire communiquer par les procureurs de la République de son ressort tous les renseignements qu'il juge opportuns et toutes les procédures qu'il estime utiles ; la communication d'une procédure elle-même reste, cependant, exceptionnelle, seules quelques copies de pièces et de procès-verbaux étant, rarement, sollicitées.

100. – Rapport annuel de politique pénale – Depuis quelques années, les gardes des Sceaux successifs avaient demandé que leur soit adressé un "rapport annuel de politique pénale". Ainsi qu'il a été exposé (V. supra n° 58), l'existence de ce document est désormais prévue par l'article 35, alinéa 3 du Code de procédure pénale.

Il s'agit d'un document de synthèse, destiné à l'information du Parlement, rédigé à partir des rapports annuels des procureurs généraux, qui s'appuient eux-mêmes sur les rapports des procureurs de la République du ressort ; ce document, outre de nombreux éléments statistiques sur l'activité judiciaire au cours de l'année écoulée, explicite les orientations et les priorités de la politique pénale conduite dans le ressort de la cour d'appel et analyse les résultats obtenus par rapport aux objectifs poursuivis ; son élaboration et sa rédaction nécessitent un travail considérable de la part de chacun des intervenants ; une synthèse des éléments les plus marquants est, ensuite, effectuée par la Chancellerie qui la diffuse à l'ensemble des parquets.

Cette diffusion permet ainsi de faire connaître les initiatives à caractère innovant prises par certains parquets et parquets généraux et de comparer les priorités et les résultats des différentes politiques pénales menées localement.

101. – Enfin, le procureur général tient de l'article R. 213-29 du Code de l'organisation judiciaire le pouvoir de procéder à l'inspection des parquets de son ressort. Il rédige ensuite un rapport dont la version définitive est adressée à la Chancellerie ; ce document participe, également, de l'information du garde des Sceaux.

2° Indivisibilité

102. – Chaque parquet constitue, sous la direction de son chef – procureur de la République ou procureur général – un groupe indivisible de magistrats. L'adage ancien "le parquet est un et indivisible" conserve ainsi toute sa valeur.

Ainsi que l'écrivent deux auteurs, “le principe d'indivisibilité est absolu” (L. Lemesle et F.-J. Pansier, op. cit., p. 43).

103. – Mais il ne signifie pas que tous les procureurs généraux, tous les procureurs de la République puissent faire indifféremment des actes de poursuite dans une procédure. L'indivisibilité ne s'applique qu'aux actes effectués par les magistrats du ministère public près leur juridiction d'affectation.

104. – En revanche, dès lors qu'un acte de procédure entre bien dans les prérogatives du magistrat du parquet qui l'a effectué ou ordonné, il est réputé fait par le parquet tout entier.

105. – Conséquences – Le ministère public étant indivisible, il n'est point besoin, pour satisfaire à la loi qui exige sa présence, que ce soit le même membre du parquet qui assiste à toutes les audiences de la même affaire. La jurisprudence est constante en ce sens (Cass. crim., 7 janv. 1955 : Bull. crim. 1955, n° 2. – Cass. crim., 14 juin 1988 : Bull. crim. 1988, n° 192. – V. également J.-Cl. Procédure civile, Fasc. 100).

106. – C'est ainsi, par exemple, que si la présence d'un membre du parquet est nécessaire pour la constitution de la cour d'assises, il n'est nullement indispensable que le même magistrat assiste à toutes les audiences d'une même affaire (Cass. crim., 2 déc. 1959 : Bull. crim. 1959, n° 524). Un procureur de la République peut donc se faire remplacer pendant une partie des audiences par l'un de ses substituts puis, ensuite, occuper à nouveau son siège (Cass. crim., 2 août 1867 : Bull. crim. 1867, n° 101. – Cass. crim., 20 févr. 1873 : Bull. crim. 1873, n° 56. – Cass. crim., 20 juill. 1945 : Bull. crim. 1945, n° 89).

Il en est de même en matière correctionnelle ou devant le tribunal de police (Cass. crim., 27 avr. 1877 : Bull. crim. 1877, n° 112).

107. – Il ne saurait, ainsi, y avoir une violation de la loi lorsque, devant la chambre de l'instruction, le réquisitoire écrit est signé par un autre magistrat que celui qui a siégé à l'audience et développé oralement des réquisitions (Cass. crim., 1er mars 1922 : Bull. crim. 1922, n° 110. – Cass. crim., 7 janv. 1955 : Bull. crim. 1955, n° 2).

108. – De même, aucune disposition légale n'interdit au même magistrat du ministère public de requérir successivement contre le même accusé devant la chambre de l'instruction puis devant la cour d'assises (Cass. crim., 23 nov. 1966 : Bull. crim. 1966, n° 266) ou devant la juridiction de renvoi après avoir pris les réquisitions devant celle dont la décision a été cassée (Cass. crim., 19 mars 1998 : Juris-Data n° 1998-001851 ; Bull. crim. 1998, n° 106).

109. – Pas davantage, les dispositions de l'article 6, § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ne sauraient-elles être invoquées pour dénier au même magistrat du ministère public, la possibilité de requérir, dans la même affaire, devant la cour d'assises de première instance puis devant la cour d'assises d'appel (Cass. crim., 21 mai 2003 : Bull. crim. 2003, n° 103 ; Juris-Data n° 2003-019364).

En effet, “la garantie de droit à un tribunal indépendant et impartial, énoncée par l'article 6, § 1 de la CEDH ne vise que les juges et non pas les représentants de l'accusation” (Cass. crim., 10 déc. 1986 : Bull. crim. 1986, n° 370. – Cass. crim., 6 janv. 1998 : Bull. crim. 1998, n° 1. – Cass. crim., 8 mars 2000 : Juris-Data n° 2000-001619. – Sur ce point, V. G. Yildirim, Avocat général et parrain, ou pourquoi la garantie d'impartialité de l'article 6, § 1 de la CEDH ne vise que les juges : D. 1999, chron. p. 246).

110. – La règle de l'indivisibilité du ministère public a encore pour conséquence que, lorsque l'un des magistrats du parquet se trouve empêché, il peut être remplacé par tout autre de ses collègues du parquet, sans qu'une délégation expresse de pouvoir ne soit nécessaire (Cass. crim., 3 juill. 1990 : Bull. crim. 1990, n° 275).

C'est ainsi qu'est régulier l'appel d'une décision judiciaire interjeté par le premier substitut du procureur de la République qui représente le ministère public près le tribunal de grande instance où il exerce ses fonctions (Cass. crim., 23 sept. 1974 : Bull. crim. 1974, n° 271. – Cass. crim., 5 mai 1997 : Juris-Data n° 1997-002448 ; Bull. crim. 1997, n° 168).

De même, est régulier l'appel interjeté par un avocat général contre un arrêt d'acquittement de la cour d'assises, car si l'article 380-2 du Code de procédure pénale réserve, dans ce cas, le droit d'appel au procureur général, ce dernier peut exercer ce droit, en vertu du principe général posé par l'article 34 du même Code, en personne ou par ses substituts (Cass. crim., 26 nov. 2003 : Juris-Data n° 2003-021531 ; Bull. crim. 2003, n° 223).

Enfin, le magistrat qui occupe le siège du ministère public devant une cour d'assises du ressort de la cour d'appel dans lequel il exerce ses fonctions habituelles est présumé avoir reçu délégation du procureur général (Cass. crim., 7 nov. 1993 : Bull. crim. 1993, n° 345).

111. – Mais, s'il y a entre les membres d'un même parquet une communauté de fonctions, de droits et d'obligations, l'indivisibilité du ministère public constitue davantage une indivisibilité de fonctions qu'une indivisibilité de personnes.

112. – Le principe de l'indivisibilité, s'il doit conserver sa rigueur qu'il puise dans le tréfonds de notre droit, doit être restreint à de justes limites et la preuve contraire doit pouvoir être administrée par le procureur de la République qui n'a, dans une affaire précise, donné aucun ordre et n'a personnellement participé à aucun acte de poursuite. Dès lors, un magistrat du ministère public qui n'a rien connu de l'affaire en cause et dont les hasards de la carrière ont fait qu'il est devenu magistrat du siège, peut participer au jugement de cette affaire, dans laquelle son esprit est libre de tout préjugé et absolument disponible à toute solution que le droit et l'équité pourront lui inspirer. La Cour de cassation a, ainsi, jugé que “s'il existe entre les membres du ministère public d'une même juridiction une certaine indivisibilité résultant de la communauté de fonctions qu'ils exercent, cette indivisibilité ne peut aller jusqu'à les faire considérer comme ayant tous participé aux poursuites exercées par l'un d'entre eux” (Cass. crim., 17 déc. 1964 : JCP G 1965, II, 14042, note Combaldieu).

113. – De même a-t-il été considéré que la seule circonstance qu'un juge d'instruction soit le conjoint d'un magistrat du ministère public exerçant ses fonctions près le même tribunal n'est pas de nature à faire naître un doute objectivement justifié quant à son impartialité, dès lors qu'il n'est pas établi que son conjoint soit intervenu directement ou indirectement dans le déroulement de l'information (Cass. crim., 14 janv. 2003 : Juris-Data n° 2003-017560 ; Bull. crim. 2003, n° 6).

114. – L'indivisibilité du ministère public ne peut, toutefois, se retourner contre lui.

Ainsi, le procureur de la République peut-il légitimement relever appel d'un jugement rendu conformément aux réquisitions de l'un de ses substituts : il s'agit là de la manifestation de la subordination hiérarchique.

3° Indépendance

a) Indépendance à l'égard des tribunaux

115. – Les tribunaux n'ont aucun pouvoir sur l'exercice de l'action publique et le ministère public est indépendant de la juridiction à laquelle il appartient (V. B. Bonzom, De l'indépendance des magistrats du Parquet à l'égard des tribunaux : Rev. pénit. 1984, p. 47 s. et 165 s.).

Cette règle découle du principe d'indépendance du ministère public vis à vis des juridictions auprès desquelles il requiert, et qui résulte, lui-même, du principe de la séparation des autorités de poursuite et de jugement : “juge de la poursuite, le ministère public ne saurait s'ériger en juge des infractions ou des personnes qui les ont commises” (L. Lemesle et F.-J. Pansier, op. cit., p. 46).

116. – C'est en vertu de ce principe que le président ne peut, à l'audience, ni refuser la parole au magistrat qui occupe le siège du ministère public, ni la lui retirer (Cass. crim., 1er juill. 1847 : DP 1847, 1, p. 247. – Cass. crim., 18 août 1860 : D. 1860, 1, p. 470).

117. – Le refus du représentant du ministère public de se rendre à l'audience n'autorise pas davantage les juridictions répressives à statuer sans réquisitions préalables (Cass. crim., 8 oct. 1808 : Bull. crim. 1808, n° 200. – Cass. crim., 7 déc. 1818 : Bull. crim. 1818, n° 157).

Un tel refus ne permet pas au tribunal de prononcer la relaxe du prévenu car “on ne peut comprendre que l'empêchement légitime, ou la négligence, d'un officier du Parquet pût faire défaillir l'action publique et laisser la société sans défense” (Cass. crim., 25 janv. 1850 : Bull. crim. 1850, n° 35).

118. – L'empêchement ou le refus de siéger du magistrat du parquet dans une affaire déterminée, qui emporte comme conséquence que le service du ministère public ne peut être assuré, doit être assimilé au cas de conflit ou de suspicion légitime réglés par les articles 662 et suivants du Code de procédure pénale.

En effet, dans l'un et l'autre cas, “le cours de la justice est interrompu”. Il y a donc lieu à règlement de juges, et l'affaire est renvoyée devant un autre tribunal (Cass. crim., 13 nov. 1841 : Bull. crim. 1841, n° 326. – Cass. crim., 15 févr. 1872 : Bull. crim. 1872, n° 41).

119. – Il résulte du principe de l'indépendance du ministère public que les tribunaux statuent sur les faits soumis à leur appréciation et sur les personnes qui leur sont déférées sans pouvoir adresser d'injonction au ministère public ni lui ordonner d'exercer des poursuites, soit à raison de tel fait, soit contre une personne déterminée, pas plus qu'ils n'ont qualité pour lui enjoindre de poursuivre des individus contre lesquels le parquet n'a pas cru devoir intervenir.

La jurisprudence sur ce point est ancienne et constante (Cass. crim., 20 déc. 1845 : DP 1846, 1, p. 80 ; S. 1846, 1, p. 316 ; Bull. crim. 1845, n° 368. – Cass. crim., 7 mars 1857 : Bull. crim. 1857, n° 103 ; DP 1857, 1, p. 181. – Cass. crim., 14 déc. 1867 : DP 1869, 1, p. 488 ; S. 1868, 1, p. 278 ; Bull. crim. 1867, n° 103. – Cass. crim., 4 juin 1892 : DP 1893, 1, p. 511 ; Bull. crim. 1892, n° 117. – Comp. Cass. req., 8 avr. 1924 : DH 1924, p. 309).

120. – En particulier, un tribunal ne pourrait obliger indirectement le ministère public à agir, en décidant qu'il sera sursis à statuer sur la prévention dont il est saisi jusqu'à ce que le ministère public ait fait statuer sur un autre crime ou un autre délit duquel aucune information n'a été ouverte (Cass. crim., 23 août 1866 : DP 1867, 1, p. 47 ; Bull. crim. 1866, n° 211. – Cass. crim., 4 juin 1892, préc. n° 119).

121. – De même, les juridictions répressives ne sauraient, sans excès de pouvoir, critiquer l'exercice que le ministère public fait de ses prérogatives quant à l'opportunité d'engager ou non des poursuites(Cass. crim., 21 mai 1979 : Juris-Data n° 1979-790178), ou remettre en question la décision de classement sans suite du procureur de la République (Cass. crim., 21 avr. 1980 : Bull. crim. 1980, n° 112).

122. – Cette règle, suivant laquelle le juge ne peut s'immiscer dans l'exercice de l'action publique, ne comporte pas d'autre dérogation que celle concernant les infractions commises à l'audience. Celles-ci peuvent être réprimées d'office par le tribunal, qui peut également provoquer l'ouverture d'une information, dans les conditions prévues par les articles 675 à 678 du Code de procédure pénale.

123. – Le principe de l'indépendance du ministère public ne permet pas davantage aux juges de censurer les actes du parquet : en agissant autrement, ils sortiraient du domaine de leur compétence et commettraient un excès de pouvoir.

La jurisprudence sur ce point est ancienne, abondante et sans ambiguïté (V. notamment Cass. crim., 14 févr. 1845 : D. 1846, 1, p. 349. – Cass. crim., 13 nov. 1847 : D. 1847, 1, p. 310. – Cass. crim., 12 févr. 1848 : Bull. crim. 1848, n° 41 ; S. 1848, 1, p. 577 ; P. 1849, 1, p. 66 ; D. 1848, 5, p. 374. – Cass. crim., 18 déc. 1859 : D. 1859, 5, p. 259. – Cass. crim., 11 déc. 1863 : Bull. crim. 1863, n° 291. – Cass. crim., 13 janv. 1881 : Bull. crim. 1881, n° 12 ; S. 1881, 1, p. 234 ; P. 1881, 1, p. 549 ; D. 1881, 1, p. 89. – Cass. crim., 19 mars 1883 : S. 1884, 1, p. 383 ; P. 1884, 1, p. 966 ; D. 1884, 1, p. 333. – Cass. crim., 5 août 1886 : Bull. crim. 1886, n° 288 ; S. 1886, 1, p. 491 ; P. 1886, 1, p. 1193 ; D. 1887, 1, p. 191. – Cass. crim., 13 janv. 1888 : Bull. crim. 1888, n° 29. – Cass. crim., 3 mars 1894 : Bull. crim. 1894, n° 61. – Cass. crim., 17 févr. 1900 : Bull. crim. 1900, n° 73. – Cass. req., 22 juin 1938 : DH 1938, p. 549).

124. – Exemples – Il a ainsi été jugé qu'il y a excès de pouvoir de la part d'un tribunal qui, à l'audience, adresse à un substitut, dans l'exercice de ses fonctions, les paroles suivantes : “Considérant qu'il est à propos de dissiper la mauvaise impression faite sur le public par la dissertation qui vient d'avoir lieu, le tribunal invite M. le substitut de M. le procureur du Roi à ne pas oublier le respect dû à la chose jugée”(Cass. crim., 17 août 1818 : Bull. crim. 1818, n° 99).

De même, un tribunal commet un excès de pouvoir lorsqu'il adresse un blâme au ministère public et qualifie ses exigences d'injustifiables et pouvant susciter un mécontentement général (Cass. crim., 19 août 1869 : Bull. crim. 1869, n° 196) ou lorsque le jugement mentionne qu'un magistrat du ministèrepublic a agi moins comme partie publique que comme défenseur officieux du prévenu (Cass. crim., 30 déc. 1842 : Bull. crim. 1842, n° 343 ; P. 1843, 2, p. 277).

Il en est, enfin, ainsi lorsque, relaxant le prévenu, le tribunal manifeste le regret d'avoir à prononcer une seconde fois sur une recherche que tout citoyen paisible aurait faite en sorte d'éviter (Cass. crim., 1er juin 1839 : Bull. crim. 1839, n° 172 ; S. 1839, 1, p. 637 ; P. 1839, 2, p. 224).

125. – Doivent également être annulés, dans l'intérêt de la loi comme contenant une critique ou une censure du ministère public, les considérants d'un jugement où, sous prétexte de justifier l'application au prévenu des circonstances atténuantes, le tribunal discute la conduite du ministère public dans des affaires de même nature, et blâme son inaction en présence de faits prétendus délictueux (Cass. crim., 13 janv. 1881, préc. n° 123).

126. – Constitue pareillement une censure du ministère public qu'aucune loi n'autorise, la délibération par laquelle un tribunal décide que le procureur général sera instruit de la conduite d'un substitut qui avait allégué, dans ses conclusions, que les parties abusaient de la facilité des juges et trompaient leur religion (Cass. crim., 24 sept. 1824 : Bull. crim. 1824, n° 118).

127. – À l'audience, un tribunal doit se refuser à donner acte à un témoin du passage du réquisitoire du ministère public que ce témoin prétendrait être injurieux pour lui. Le donné acte sollicité contiendrait, en effet, une censure indirecte des actes du ministère public (Cass. crim., 20 avr. 1844 : Bull. crim. 1844, n° 146. – Cass. crim., 14 févr. 1845 : D. 1845, 4, p. 349. – CA Paris, 29 sept. 1869 : S. 1870, 2, p. 22 ; P. 1870, p. 199 ; D. 1874, 5, p. 339. – En ce sens, Morin, Discipline : t. 1, n° 57 ter).

128. – Enfin, il a été jugé que devait être annulé, dans l'intérêt de la loi, le considérant d'un arrêt déclarant “qu'il est des plus regrettables de constater que, malgré la formule exécutoire des sentences rendues, M. le procureur de la République, qui doit veiller à l'exécution des décisions de justice, croit devoir les paralyser par le refus apporté par lui d'autoriser l'expulsion” (Cass. crim., 22 juin 1938 : DH 1939, p. 549).

129. – Cette interdiction pour les juges de porter une appréciation sur les actes du ministère public ne doit pas, cependant, être portée à l'extrême. Il est bien évident que des expressions un peu vives à l'adresse du ministère public ne constitueraient pas un excès de pouvoir, s'il n'en ressortait aucune censure des actes du ministère public (Cass. crim., 12 juill. 1861 : Bull. crim. 1861, n° 147 ; D. 1861, 1, p. 289. – Cass. crim., 24 juin 1864 : D. 1865, 5, p. 307).

Il a, ainsi, été décidé qu'on ne saurait voir un excès de pouvoir :

dans les termes d'un jugement déclarant qu'il convient d'écarter, comme peu dignes de confiance, certains témoins à charge cités par le ministère public (Cass. crim., 2 août 1866 : Bull. crim. 1866, n° 199 ; D. 1866, 5, p. 306) ;

ou que le ministère public ayant cru devoir préférer la voie judiciaire à la voie administrative qui lui était ouverte, il est tenu de faire la preuve de la contravention (Cass. crim., 25 avr. 1873 : Bull. crim. 1873, n° 116).

130. – En ce qui concerne les réquisitions écrites, les juridictions ne peuvent prescrire des modifications dans les actes émanant du ministère public, plus particulièrement, la chambre d'accusation ne peut ordonner la cancellation de mentions du réquisitoire définitif établi par le procureur de la République, quelles que soient les irrégularités constatées par elles dans ce document (Cass. crim., 11 déc. 1984 : JCP G 1986, II, 20626, note B. Bonzom).

Méconnaît ainsi le principe de l'indépendance du ministère public à l'égard des juridictions, la chambre de l'instruction qui, par application de la loi d'amnistie du 20 juillet 1988 interdisant le rappel des condamnations pénales amnistiées, ordonne la cancellation des réquisitions du ministère public (Cass. crim., 3 mai 1989 : Gaz. Pal. 1989, 2, somm. p. 386).

131. – Cette même juridiction ne peut, sans excès de pouvoir, annuler d'office les réquisitions duministère public qui satisfont, en la forme, aux conditions essentielles de leur existence légale (Cass. crim., 10 déc. 1986 : Bull. crim. 1986, n° 370. – Cass. crim., 23 mars 1999 : Bull. crim. 1999, n° 51. – Cass. crim., 11 févr. 2003 : Juris Data, n° 2003-018388. – V. sur l'indépendance du ministère public à l'égard des juridictions : Dr. pén. 1994, chron. 18, V. Lesclous et C. Marsat).

b) Indépendance à l'égard des justiciables

132. – Les magistrats du parquet sont indépendants des justiciables (V. infra n° 169) : aussi, pas plus qu'il n'est tenu d'agir sur simple plainte, le procureur de la République n'est lié par un retrait de plainte ou un désistement.

À l'audience, le ministère public doit donner ses conclusions verbalement à peine de nullité, et les lire à haute voix si elles sont écrites, afin de respecter le principe de l'oralité des débats (Cass. crim., 15 nivôse, an III).

133. – Le ministère public, obligé de conclure, le fait en toute liberté, et ce principe est valable devant toutes les juridictions pénales. Il a, ainsi, été jugé que “les dispositions de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 ne concernent que les parties privées et sont inapplicables aux officiers du ministère public lorsqu'ils donnent leurs conclusions dans les poursuites criminelles, correctionnelles ou de simple police ; ces officiers tiennent de la nature même de leurs fonctions et du caractère dont ils sont revêtus, le droit, sous le seul contrôle des autorités dont ils relèvent, de dire ou d'écrire tout ce que, dans leur conscience, ils estiment être nécessaire à l'accomplissement de la mission dont ils sont chargés et, par suite, les réquisitions par eux prises à l'audience ne peuvent donner lieu à aucune action en diffamation ou injure” (Cass. crim., 2 févr. 1900 : Bull. crim. 1900, n° 41. – Cass. crim., 23 nov. 1950 : Bull. crim. 1950, n° 259. – V. aussi infra n° 183).

Il s'ensuit qu'un tribunal ne peut ni donner acte des réquisitions du ministère public ou de certains passages, ni ordonner le dépôt au greffe du réquisitoire, sous prétexte qu'il serait injurieux ou diffamatoire, que la demande émane d'un témoin (Cass. crim., 20 avr. 1844, cité supra n° 127), des parties ou d'un tiers (Cass. crim., 2 févr. 1900 préc.). Il en est ainsi alors même que le ministère public y aurait consenti, car il n'est pas au pouvoir des magistrats du parquet de renoncer à la protection qu'ils reçoivent de la loi dans l'intérêt de l'ordre public (Cass. crim., 20 oct. 1835 : Bull. crim. 1835, n° 401).

134. – Il est généralement admis que cette immunité ne s'applique pas uniquement aux réquisitions et conclusions développées à l'audience, mais à tous les actes de la fonction.

135. – Le ministère public ne peut, enfin, être récusé par les autres parties au procès pénal (V. infra n° 162) ni même être concerné par une requête en suspicion légitime.

Il a été jugé que le fait, avant tenue du débat contradictoire, que le représentant du ministère public ait eu un entretien avec le juge des libertés et de la détention ne peut faire naître dans l'esprit de la personne mise en examen un doute objectivement justifié quant au respect du principe du contradictoire (Cass. crim., 9 juill. 2003 : Juris-Data n° 2003-020149 ; Bull. crim. 2003, n° 135).

c) Indépendance à l'égard du pourvoir exécutif

136. – La question de l'indépendance du ministère public à l'égard du pouvoir exécutif peut, en l'état, paraître paradoxale, tant a été souligné le principe de subordination hiérarchique qui structure et gouverne son organisation actuelle.

Pourtant, les magistrats du ministère public sont des magistrats à part entière : en droit, d'abord, les différences statutaires avec leurs collègues du siège ayant eu tendance à se réduire au cours de ces dernières années avec, notamment, l'intervention de la réforme constitutionnelle du 27 juillet 1993 qui, pour la première fois, a évoqué leur existence de manière spécifique ; en pratique, ensuite, les magistrats du parquet se trouvant, à présent, dans une situation de quasi-inamovibilité tant sont rares et, lorsqu'ils interviennent, entourés de garanties, les déplacements d'office dans l'intérêt du service qui font systématiquement l'objet, lorsqu'ils interviennent, comme les autres sanctions professionnelles, d'un contentieux devant le Conseil d'État.

Note de la rédaction – Mise à jour du 23/02/2017

136 . - Indépendance à l'égard du pouvoir exécutif

Du fait de leur statut, les membres du ministère public ne remplissent pas l'exigence d'indépendance à l'égard de l'exécutif, qui compte, au même titre que l'impartialité, parmi les garanties inhérentes à la notion autonome de "magistrat" au sens de l'article 5 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Par ailleurs, la loi confie l'exercice de l'action publique au ministère public. Dès lors, un membre duministère public, ne remplit pas, au regard de l'article 5 § 3 de la Convention, les garanties d'indépendance exigées pour être qualifié, au sens de cette disposition, de “juge ou (...) autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires” (CEDH, 23 nov. 2010, n° 37104/06, F. Moulin c/ France).

Le ministère public n'est pas une autorité judiciaire au sens de l'article 5 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, dès lors qu'il ne présente pas les garanties d'indépendance et d'impartialité requises par ce texte et qu'il est partie poursuivante (Cass. crim., 15 déc. 2010, n° 10-83.674 H : JurisData n° 2010-023523).

S'il est vrai que le magistrat du ministère public, ne présentant pas les garanties d'indépendance et d'impartialité requises, n'est pas une autorité judiciaire au sens de l'article 5 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, aucune nullité ne saurait résulter du contrôle de la garde à vue effectué par ses soins, dès lors que la personne concernée par la mesure a été présentée à un magistrat du siège dans un délai compatible avec les dispositions de ce texte (Cass. crim., 18 janv.2011, n° 10-84.980, 356 : JurisData n° 2011-000648 ; Bull. inf. C. cass. 15 mai 2011, n° 603).

137. – Enfin, l'existence d'un pouvoir propre, examiné précédemment, participe, également, du caractère atypique de l'organisation hiérarchique du parquet. On a pu évoquer, à son propos, une“hiérarchie à contenu variable” (J.-P. Dintilhac, op. cit., p. 67).

138. – La recommandation 2000 (19) du Conseil de l'Europe (V. supra n° 90) invite d'ailleurs les États,“dans les pays où le ministère public dépend du gouvernement ou se trouve subordonné à celui-ci”, à prendre (V. sur cette question, M. Robert, cité supra n° 90) :

toutes mesures afin de garantir que a) la nature et l'étendue des pouvoirs du gouvernement vis-à-vis duministère public soient précisées par la loi ; b) le gouvernement exerce ses pouvoirs de manière transparente et conformément aux traités internationaux, au droit interne et aux principes généraux du droit ; c) toute instruction à caractère général émanant du gouvernement revête une forme écrite et soit publiée selon les modalités appropriées ; d) lorsque le gouvernement est habilité à donner des instructions de poursuite dans une affaire spécifique, celles-ci s'accompagnent de garanties suffisantes de transparence et d'équité, dans les conditions prévues par la loi nationale, le gouvernement étant, par exemple, astreint à solliciter au préalable l'avis écrit du ministère public compétent ou de l'organe représentatif du corps, à dûment motiver ses instructions écrites, tout particulièrement lorsqu'elles ne concordent pas avec cet avis et à les acheminer par la voie hiérarchique ; e) le ministère public conserve le droit de soumettre à la juridiction tout argument juridique, même dans les cas où, lorsqu'il la saisit par écrit, il est dans l'obligation de le faire dans le sens des instructions qu'il a reçues ; f) les instructions individuelles de non poursuite soient, en principe, prohibées et que, s'il n'en est pas ainsi, de telles instructions, par ailleurs exceptionnelles, soient assujetties non seulement aux règles énoncées aux paragraphes d. et e. mais également à un contrôle spécifique approprié dans le but notamment de garantir la transparence.

4° Incompatibilités

a) Incompatibilités entre les fonctions du ministère public et les fonctions de juge

139. – La séparation des fonctions de poursuite, d'instruction et de jugement est un des principes fondamentaux de notre organisation judiciaire. Il trouve sa justification dans le principe général déjà énoncé de la protection des libertés individuelles dans le respect de l'ordre public.

140. – Les fonctions du ministère public sont incompatibles avec celles de juge. Cette incompatibilité résulte de la nature même des fonctions et du principe qui ne permet pas qu'un magistrat puisse être, dans la même affaire, juge et partie poursuivante (Cass. crim., 15 mars 1960 : Bull. crim. 1960, n° 148. – Cass. crim., 7 mars 1946 : Bull. crim. 1946, n° 82).

141. – Il en résulte qu'un magistrat du parquet, dans la circonscription duquel une personne a été l'objet de poursuites, ne peut, ayant été ensuite nommé au siège, participer, en cette qualité, au jugement de l'affaire. Telle est la règle qu'applique, de longue date, la jurisprudence.

142. – Cette règle s'applique :

au magistrat qui, dans la même affaire, a requis l'ouverture de l'information (Cass. crim., 5 déc. 1903 : Bull. crim. 1903, n° 411) ;

à celui qui, au cours de l'information, a pris des réquisitions (Cass. crim., 14 sept. 1905 : Bull. crim. 1905, n° 445. – Cass. crim., 22 févr. 1917 : S. 1921, 1, p. 227) ou a contrôlé le déroulement de la garde à vue (Cass. crim., 5 déc. 2001 : Juris-Data n° 2001-012467 ; Bull. crim. 2001, n° 253) ;

à celui qui occupait le siège du ministère public à l'audience dont la décision a été cassée et siégeait ensuite, comme conseiller, devant la cour de renvoi (Cass. crim., 26 avr. 1990 : Bull. crim. 1990, n° 162 ; Gaz. Pal. 1990, p. 513).

143. – La Cour de cassation n'a, cependant, jamais poussé l'application de ce principe jusqu'à ses limites extrêmes. Il est, en effet, fréquent, qu'un magistrat du parquet soit muté au siège, de sorte que si la règle de l'incompatibilité devait être appliquée dans toute sa rigueur, il en résulterait des difficultés inextricables pour composer les juridictions, ce qui ne pourrait que nuire à la bonne administration de la justice.

Certes, il ne peut être discuté qu'à l'intérieur de chaque parquet, chacun des magistrats qui le composent puise, dans sa seule qualité et en dehors de toute délégation de pouvoirs, le droit d'accomplir tous les actes entrant dans l'exercice de l'action publique ; ce n'est là que l'application du principe de l'indivisibilité du ministère public. Mais ce principe ne peut avoir pour conséquence de faire considérer les magistrats du ministère public auprès d'une juridiction déterminée, comme ayant tous participé aux poursuites exercées par l'un d'eux. Et c'est précisément la raison pour laquelle la jurisprudence a, d'une manière générale, limité la portée de l'incompatibilité au cas où un magistrat du parquet, nommé ensuite au siège, a fait véritablement acte de poursuite dans l'affaire à laquelle il participe comme juge (Cass. crim., 23 mars 1869 : Bull. crim. 1869, n° 83. – Cass. crim., 14 sept. 1905 : Bull. crim. 1905, n° 445. – Cass. crim., 22 févr. 1917 : S. 1917, 1, p. 227. – Cass. crim., 16 févr. 1922 : Bull. crim. 1922, n° 67. – Cass. crim., 15 mars 1960 : Bull. crim. 1960, n° 148. – Cass. crim., 17 déc. 1964 : JCP G 1965, II, 14012, note Combaldieu. – Cass. crim., 29 oct. 1979 : Bull. crim. 1979, n° 296).

144. – La Cour de cassation a néanmoins estimé qu'en vertu du principe de l'indivisibilité du ministèrepublic, l'incompatibilité frappant le substitut qui a accompli un acte de poursuite s'étend au procureur de la République sous les ordres duquel il est présumé avoir agi, mais non aux autres magistrats du parquet (Cass. crim., 29 oct. 1864 : Bull. crim. 1864, n° 119. – Cass. crim., 5 sept. 1884 : Bull. crim. 1884, n° 284).

145. – En revanche, la seule circonstance que le président de la chambre de l'instruction ait exercé, antérieurement, les fonctions de procureur de la République adjoint dans un des tribunaux du ressort, ne saurait entraîner l'annulation de l'arrêt, “dès lors, d'une part, qu'il ne ressort d'aucun élément de la procédure ou de documents produits que ce magistrat ait accompli des actes de poursuites ni, d'autre part, qu'il ait été chargé à un titre quelconque par le procureur de la République, seul responsable de l'ensemble de l'exercice de l'action publique devant cette juridiction... de diriger les magistrats du Parquet ayant à suivre l'affaire ; que, si le principe d'indivisibilité du ministère public permet à chacun de ses membres d'agir au nom de tous, il ne saurait interdire au magistrat lui ayant appartenu de se prononcer comme juge sur une procédure dont il n'a jamais eu à connaître dans ses fonctions antérieures” (Cass. crim., 5 sept. 1990 : Bull. crim. 1990, n° 310).

146. – En outre, pour apprécier l'étendue du principe d'incompatibilité, il convient de rappeler qu'une décision de classement sans suite n'est pas considérée comme constituant un acte de poursuite (Cass. crim., 7 avr. 1854 : DP 1854, 5, p. 766).

147. – Mais, s'il n'est pas permis à un magistrat de siéger comme juge dans une affaire où il a fait un ou plusieurs actes de poursuite, à l'inverse aucune disposition légale ne s'oppose à ce qu'il occupe le siège du ministère public à la cour d'assises réunie pour juger une affaire qu'il a instruite (Cass. crim., 28 nov. 1945 : Bull. crim. 1945, n° 123).

De même, peut exercer les fonctions du ministère public à la cour d'assises le magistrat qui a :

exercé les mêmes fonctions auprès de la chambre de l'instruction qui a prononcé le renvoi de l'accusé (Cass. crim., 22 avr. 1958 : Bull. crim. 1958, n° 326. – Cass. crim., 23 nov. 1966 : Bull. crim. 1966, n° 266) ou qui a concouru, en une autre qualité, à l'arrêt de mise en accusation de l'accusé(Cass. crim., 30 juill. 1847 : Bull. crim. 1847, n° 166) ;

exercé les poursuites devant le tribunal correctionnel avant que la cour d'appel ne se déclare incompétente à raison de la nature criminelle des faits (Cass. crim., 9 oct. 1894 : Bull. crim. 1894, n° 218) ;

occupé le siège du ministère public devant la cour d'assises qui a rendu un arrêt de condamnation annulé par la Cour de cassation (Cass. crim., 25 juin 1908 : Bull. crim. 1908, n° 266) ou, successivement, devant la cour d'assises de première instance puis devant la cour d'assises d'appel (Cass. crim., 21 mai 2003 : Bull. crim. 2003, n° 103 ; Juris-Data n° 2003-019364).

148. – Cette jurisprudence apparaît cohérente dans la mesure où l'exigence d'impartialité et la garantie à un tribunal indépendant et impartial, énoncées à l'article 6, § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, ne visent que les juges et non pas le représentant du ministère public (Cass. crim., 6 mai 1996 : Juris-Data n° 1996-003004 ; Bull. crim. 1996, n° 187. – Cass. crim., 13 nov. 1996 : Bull. crim. 1996, n° 404. – Cass. crim., 6 janv. 1998 : Juris-Data n° 1998-000635 ; Bull. crim. 1998, n° 1. – Cass. crim., 8 mars 2000 : Juris-Data n° 2000-001619. – Cass. crim., 21 mai 2003, préc. n° 147).

b) Incompatibilités diverses

149. – L'article 8, alinéa 1er, de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée, portant loi organique relative au statut de la magistrature, dispose que l'exercice des fonctions de magistrat est incompatible avec l'exercice de toutes fonctions publiques et de toute autre activité professionnelle ou salariée.

150. – Ce principe, de portée générale en ce qu'il s'applique aux magistrats du siège comme à ceux du parquet, comporte, cependant, deux tempéraments :

les magistrats peuvent, sans autorisation préalable, se livrer à des travaux scientifiques, littéraires ou artistiques (Ord. n° 58-1270, 22 déc. 1958 modifiée, art. 8, al. 3) ;

à la condition de bénéficier d'une autorisation expresse de la part de leur chef de cour, ils peuvent également (art. 8, al. 2) donner des enseignements ressortissant à leur compétence ou exercer des fonctions ou activités qui ne seraient pas de nature à porter atteinte à la dignité du magistrat ou à son indépendance, à l'exception des activités d'arbitrage.

151. – Ainsi, un magistrat en position d'activité doit obligatoirement demander une autorisation pour se livrer à des activités rémunérées autres que des travaux scientifiques, littéraires ou artistiques.

152. – La loi organique n° 94-101 du 5 février 1994 (art. 4 : JO 8 févr. 1994) a inséré un article 9-2 dans l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 qui prescrit au magistrat en disponibilité ou à celui qui a cessé ses fonctions depuis moins de cinq ans, s'il envisage d'exercer une activité privée, d'en informer préalablement le garde des Sceaux. Le ministre peut refuser d'accorder cette autorisation s'il estime que l'exercice de cette activité est contraire à l'honneur ou à la probité ou que, par sa nature ou du fait de ses conditions d'exercice, elle compromettrait le fonctionnement normal de la justice ou porterait le discrédit sur les fonctions de magistrat.

L'alinéa 3 précise que la violation d'une interdiction d'exercice est passible de sanctions disciplinaires ou du retrait de l'honorariat, éventuellement assortis de retenues sur pensions. Les modalités d'application de cet article ont été fixées par le décret n° 94-314 du 20 avril 1994 (JO 23 avr. 1994), dont l'article 6 constitue la nouvelle rédaction de l'article 36 du décret n° 93-21 du 7 janvier 1993 (JO 8 janv. 1993).

153. – L'article 37 du décret n° 93-21 du 7 janvier 1993 susvisé, en sa rédaction issue de l'article 7 du décret n° 94-314 du 20 avril 1994 dispose, quant à lui, que la participation d'un magistrat en activité à un arbitrage est subordonnée à l'obtention préalable d'une dérogation, conformément au deuxième alinéa de l'article 8 de l'ordonnance du 23 décembre 1958 (autorisation des chefs de cour).

Une dérogation est nécessaire pour chaque arbitrage.

154. – Par ailleurs, l'exercice des fonctions de magistrat est incompatible avec l'exercice actuel ou passé d'un mandat électif de l'intéressé ou de son conjoint, ou même d'une simple candidature à l'un de ces mandats, dans les conditions précisées par l'article 9 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958.

155. – Enfin, les conjoints, parents ou alliés jusqu'au degré d'oncle ou de neveu inclusivement ne peuvent être simultanément membres d'un même tribunal ou d'une même cour, en quelque qualité que ce soit, sauf dispense accordée par décret (COJ, art. R. 721-1).

156. – Si la dispense est accordée, les parents, conjoints ou alliés, jusqu'au degré de neveu inclusivement ne peuvent, néanmoins, siéger dans une même affaire ; il en est ainsi :

lorsque le jugement auquel a participé l'un des deux, en qualité d'assesseur du tribunal correctionnel, a été rendu sur les réquisitions prises à l'audience par son conjoint, magistrat du parquet (Cass. crim., 30 avr. 1986 : Bull. crim. 1986, n° 151) ;

lorsque l'un des conjoints préside le tribunal de police devant lequel le prévenu a été renvoyé sur injonction de l'autre, substitut du procureur de la République (Cass. crim., 6 sept. 1988 : Bull. crim. 1988, n° 319).

157. – Mais la Cour de cassation a également été amenée à préciser les cas dans lesquels ils ne peuvent connaître d'une même cause :

dans le cas où l'un des conjoints préside une cour d'assises devant laquelle une affaire est jugée après un arrêt de renvoi de la chambre de l'instruction rendu sur réquisitions de l'autre conjoint, substitut du procureur général (Cass. crim., 29 juin 1983 : Bull. crim. 1983, n° 204) ;

lorsque siège, comme conseiller à la chambre de l'instruction, le conjoint du magistrat du parquet qui avait pris des réquisitions ayant conduit au prononcé, par le juge d'instruction, de l'ordonnance entreprise (Cass. crim., 29 févr. 1996 : Juris-Data n° 1996-001697 ; Bull. crim. 1996, n° 99).

On peut déduire de ces arrêts que le principe ainsi affirmé s'applique dans tous les cas où les conjoints, l'un au siège et l'autre soit au parquet soit au siège, sont amenés à connaître de la même affaire, quelle que soit la juridiction pénale devant laquelle l'affaire est évoquée.

Il a, toutefois, été jugé que ne constitue pas une cause d'incompatibilité empêchant un magistrat de siéger à la cour d'assises en qualité d'assesseur, le fait que son conjoint, lui-même magistrat, ait, en remplacement du juge d'instruction chargé de l'affaire, statué sur une demande de mise en liberté formée par un co-inculpé de l'accusé non soumis au même débat devant la cour d'assises (Cass. crim., 6 mars 1991 : Juris-Data n° 1991-701364 ; Bull. crim. 1991, n° 114).

158. – De même, est incompatible la présence, dans une même affaire, d'un magistrat avec un de ses parents ou alliés avocat ou avoué d'une des parties en cause.

159. – Curieusement, aucune disposition spécifique n'est, en l'état, prévue pour les personnes liées par un pacte civil de solidarité, alors pourtant que la loi du 9 mars 2004, complétant l'article 668 du Code de procédure pénale, prévoit que constitue désormais une cause de récusation la circonstance qu'un juge, son conjoint, son partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin sont apparentés ou partagent des intérêts communs avec l'une des parties ou qu'il y a entre eux des manifestations assez graves pour faire suspecter leur impartialité.

160. – Il se déduit de la règle selon laquelle le ministère public fait partie intégrante de la juridiction, une incompatibilité absolue entre la qualité de témoin d'un substitut, cité par le prévenu, et la présence de ce magistrat dans la composition des débats d'audience (Cass. crim., 26 juill. 1983 : Bull. crim. 1983, n° 228).

c) Conséquences de l'incompatibilité

161. – Une cause d'incompatibilité est, pour le magistrat qui en est atteint, un motif absolu d'abstention. Sa présence a pour conséquence de rendre la juridiction illégalement constituée, ce qui entraîne la nullité d'ordre public des débats et de la décision V. infra Art. 240 à 267, fasc. 10, H. Angevin).

5° Irrécusabilité

162. – Une ancienne jurisprudence, se fondant sur les dispositions de l'article 381 du Code de procédure civile, aux termes duquel le ministère public n'est pas récusable lorsqu'il est partie principale, décidait qu'étant, en matière pénale, toujours partie principale, il ne pouvait donc jamais être récusé.

163. – Cette solution traditionnelle a été consacrée par le Code de procédure pénale, dont l'article 669, alinéa 2 dispose que “les magistrats du ministère public ne peuvent être récusés”. Cette règle est absolue, et s'applique dans tous les cas, même s'il existe une partie civile en cause. Elle trouve son fondement dans le principe de l'indivisibilité du ministère public (V. infra Art. 668 à 674-2).

164. – Curieusement, l'explication de cette interdiction trouve son fondement non dans une situation particulière inhérente à la position du ministère public, mais dans sa qualité de partie principale et nécessaire au procès pénal qui en fait un plaideur ordinaire, entraînant l'application du principe en vertu duquel un plaideur ne récuse pas son adversaire (R. Garaud, Instruction criminelle, t. 1 : Sirey, n° 92).

165. – En revanche, en matière civile, lorsque le ministère public est partie jointe, la récusation est possible pour les mêmes cas que les juges (NCPC, art. 341). En pareil cas, le ministère public n'est, en effet, que le conseiller de la juridiction civile.

166. – Au fond, la question de la récusation repose sur le principe de l'impartialité de l'institution judiciaire, notion absolument indispensable pour que soient acceptées les conséquences de ses décisions.

167. – Il a été précédemment exposé la situation d'un magistrat du parquet devenu magistrat du siège ; mais que penser de la situation inverse, d'un magistrat passé du siège au parquet ? La question a été posée (G. Viala, Le ministère public peut-il être récusé ? : Gaz. Pal. 1980, 1, doctr. p. 163).

Nous pensons qu'elle doit être résolue par la négative, la règle de l'article 669 du Code de procédure pénale ne souffrant pas d'exception (V. infra Art. 668 à 674-2, H. Angevin).

168. – C'est, d'ailleurs, en ce sens qu'avait statué la Cour de cassation (Cass. crim., 22 oct. 1897 : S. 1899, 1, p. 109) en décidant qu'un magistrat ayant jugé une affaire en première instance en qualité de président du tribunal correctionnel pouvait occuper en appel, dans la même affaire, le siège duministère public.

À cela s'ajoute l'argument selon lequel l'exigence d'impartialité et la garantie d'un tribunal indépendant et impartial, énoncées à l'article 6, § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, ne visent que les juges et non pas le représentant du ministèrepublic (V. supra n° 148).

6° Irresponsabilité

a) Irresponsabilité du magistrat

169. – Le ministère public est irresponsable en ce sens qu'il ne peut être condamné aux dépens à la suite d'une instance engagée contre une personne qui a été acquittée (jurisprudence constante, V. notamment : Cass. crim., 12 nov. 1875 : Bull. crim. 1875, n° 313 ; S. 1876, 1, p. 487 ; P. 1876, p. 1216 ; D. 1878, 5, p. 288. – Cass. crim., 20 nov. 1880 : Bull. crim. 1880, n° 207 ; S. 1881, 1, p. 335 ; p. 1881, 1, p. 798 ; D. 1881, 1, p. 141. – Cass. crim., 22 oct. 1885 : Bull. crim. 1885, n° 272. – Cass. crim., 10 nov. 1887 : Bull. crim. 1887, n° 375. – Cass. crim., 17 oct. 1895 : Bull. crim. 1895, n° 249 ; S. et P. 1895, 1, p. 524 ; D. 1895, 1, p. 543. – Cass. crim., 13 mars 1896 : Bull. crim. 1896, n° 97 ; S. 1886, 1, p. 544. – Cass. crim., 23 juill. 1897 : Bull. crim. 1897, n° 257. – Comp. R. Garraud, op. cit., n° 93).

Le ministère public ne peut pas davantage être condamné à des dommages-intérêts envers la personne acquittée, quelle que soit, par ailleurs, la légèreté de la poursuite (R. Garraud, op. cit., n° 93).

170. – Par ailleurs, les magistrats du ministère public n'étant pas des fonctionnaires représentant l'Administration, ils ne peuvent, en aucun cas, être assimilés à ceux-ci et les irrégularités qu'ils peuvent commettre dans l'exercice de leurs fonctions ne constituent donc nullement des voies de fait administratives pouvant être déférées à l'examen du juge des référés (TGI Nanterre, réf. 4 juin 1982 : JCP G 1983, II, 20116, note Chambon).

171. – Ce principe d'irresponsabilité comportait, néanmoins, deux tempéraments : la prise à partie et le déni de justice.

172. – Prise à partie – Il était admis que les magistrats du ministère public pouvaient, comme leurs collègues du siège, être l'objet d'une prise à partie dans les cas visés par l'article 505 du Code de procédure civile. Depuis l'abrogation de cet article, la responsabilité civile des magistrats ne peut plus être appréciée que dans le cadre des dispositions des articles L. 781-1 du Code de l'organisation judiciaire et 11-1 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée par la loi organique n° 79-43 du 18 janvier 1979(JO 19 janv. 1979).

Ces dernières dispositions ont implicitement abrogé les articles 506 à à 516 du Code de procédure civile relatifs à la prise à partie (Cass. 1re civ., 10 juin 1987 : Bull. civ. 1987, I, n° 189. – Cass. 1re civ., 16 mai2000 : Juris-Data n° 2000-002010 ; Bull. civ. 2000, I, n° 143).

173. – Déni de justice – Pour ce qui est du déni de justice, il était incriminé par l'article 185 de l'ancien Code pénal. Il est désormais incriminé dans l'article 434-7-1 du Code pénal.

La chambre criminelle a jugé que par une plainte en déni de justice fondée sur une décision de classement sans suite, l'auteur de celle-ci n'allègue que de faits ne pouvant manifestement comporter aucune sanction pénale (Cass. crim., 6 juill. 1982 : Bull. crim. 1982, n° 181) et qu'il en est de même du réquisitoire définitif du procureur de la République et de l'ordonnance du juge d'instruction renvoyant un inculpé devant le tribunal correctionnel (Cass. crim., 3 mai 1983 : Bull. crim. 1983, n° 127).

174. – Il a été jugé qu'une décision de classement sans suite, prise en application de l'article 40 du Code de procédure pénale “ne peut comporter aucune sanction pénale” (Cass. crim., 9 mars 1983 : D. 1983, jurispr. p. 352, note Jeandidier).

b) Responsabilité de l'État

175. – L'État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice. Cette responsabilité n'est engagée que pour faute lourde et déni de justice (Cass. 1re civ., 21 févr. 1995 : Bull. civ. I, 1995, n° 52. – Cass. 1re civ., 20 févr. 1996 : Juris-Data n° 1996-000545 ; Bull. civ. I, 1996, n° 94).

Ce régime de responsabilité propre au fonctionnement défectueux du service de la justice ne prive pas le justiciable d'accès au juge et n'est pas incompatible avec les dispositions de l'article 6, § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (Cass. ass. plén., 23 févr. 2001 : Juris-Data n° 2001-008318 ; Bull. civ. ass. plén. 2003, n° 5 ; JCP G 2003, I, 340, note G. Viney).

En ce qui concerne la faute lourde, on note depuis une trentaine d'années, une recherche beaucoup plus fréquente de la responsabilité de l'État pour mauvais fonctionnement du service de la justice.

Dans l'arrêt précité du 23 février 2001, l'assemblée plénière de la Cour de cassation a ainsi défini la faute lourde : “toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du servicepublic de la justice à remplir la mission dont il est investi” ; par cette décision, l'assemblée plénière a cassé l'arrêt de la cour d'appel de Paris qui avait débouté les demandeurs de leurs prétentions en donnant une définition plus restrictive de la faute lourde, consistant en une faute commise sous l'influence d'une erreur tellement grossière qu'un magistrat normalement soucieux de ses devoirs n'y aurait pas été entraîné ou encore celle qui révèle l'animosité personnelle, l'intention de nuire ou qui procède d'un comportement anormalement déficient.

176. – Ainsi, en matière pénale, il a été jugé que constituait une faute lourde pouvant être reprochée au ministère public, ainsi qu'aux services de police judiciaire placés sous son autorité :

le refus de restituer un vélomoteur immobilisé pour conduite sans permis alors qu'un jugement de relaxe est intervenu et est devenu définitif, rendant ainsi la mainlevée obligatoire (CA Limoges, 12 févr. 1987 : Juris-Data n° 1987-043872) ;

le fait que, malgré le défaut de concordance entre les nom et prénom du demandeur et ceux de la personne recherchée, et au vu de renseignements n'ayant fait l'objet d'aucune vérification, un mandat d'amener a été délivré à l'encontre du demandeur et mis à exécution, l'incarcération ayant duré trois jours (CA Paris, 25 avr. 1985 : Juris-Data n° 1985-021649 ; Gaz. Pal. 1985, 1, somm. p. 41 et la note) ;

des constatations erronées et des diligences manifestement insuffisantes des gendarmes enquêteurs lors d'un grave accident de la circulation ayant retardé l'indemnisation de la victime ;

l'exécution d'une opération de police judiciaire conduite en l'absence d'élément légal de l'infraction supposée (Cass. 1re civ., 15 oct. 1996 : Juris-Data n° 1996-003791 ; Bull. civ. I, 1996, n° 352).

177. – Il a, en revanche, été jugé que ne constituait pas une faute lourde engageant la responsabilité de l'État :

l'utilisation de la procédure de flagrant délit, même si elle peut constituer une méconnaissance des règles de procédure pénale (Cass. 1re civ., 17 mars 1992 : Juris-Data n° 1992-000589) ;

le fait, pour le parquet, de ne pas interjeter appel d'un jugement du tribunal de commerce homologuant un plan de cession car le droit d'appel constitue un droit discrétionnaire ;

le fait qu'un délai de plus de cinq ans se soit écoulé entre l'arrêt de renvoi de la chambre d'accusation et l'audiencement de l'affaire devant la cour d'assises, en raison des circonstances de l'espèce (CA Paris, 23 févr. 1993 : Juris-Data n° 1993-020422) ;

le fait, pour un procureur de la République, d'ordonner l'ouverture d'une information, clôturée ensuite par un non-lieu, dès lors que les pièces transmises au parquet par le directeur des services fiscaux faisaient apparaître des irrégularités dans la tenue de la comptabilité de la personne poursuivie (Cass. 1re civ., 8 nov. 1994 : Juris-Data n° 1994-002520 ; Bull. civ. I, 1994, n° 322).

En règle générale, on considère que les obligations du ministère public doivent être appréciées au regard de l'action publique qu'il a pour mission d'exercer et non en fonction d'intérêts privés des personnes directement concernées (Cass. 1re civ., 3 mars 1992 : Gaz. Pal. 1992, 2, pan. jurispr. p. 222).

178. – Toutefois, si le dommage à réparer a été causé à un tiers sans qu'il y ait eu faute de celui-ci, il y a lieu, pour les tribunaux judiciaires, de se référer aux règles du droit public, telles qu'elles se dégagent de la jurisprudence du Conseil d'État (CE, 21 juill. 1989 : Gaz. Pal. 1990, 1, pan. dr. adm. p. 287) et de retenir la responsabilité de la puissance publique même en l'absence de faute du service public, si le dommage est anormal, grave ou spécial (CA Angers, 1re ch. B, 9 oct. 1989 : Gaz. Pal. 1991, 1, p. 287, note Renard ; Juris-Data n° 1989-603741 . – V. sur ces points, J.-Cl. Procédure civile, Fasc. 74, Responsabilité du service de la justice et des magistrats, G. Pluyette et P. Chauvin).

c) Protection des magistrats

179. – Les magistrats sont protégés contre les menaces, attaques de quelque nature que ce soit, dont ils peuvent faire l'objet dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions.

L'État doit réparer le préjudice direct qui en résulte, dans tous les cas non prévus par la législation des pensions (Ord. n° 58-1270, 22 déc. 1958, art. 11).

Le Conseil d'état dans un arrêt du 28 mai 2003, rendu dans une affaire dans laquelle un magistrat du siège avait demandé que lui soit accordée la protection prévue par ce texte (Ord. n° 58-1270, 22 déc. 1958, art. 11) après que son impartialité eut été mise en cause par un article de presse, demande à laquelle le garde des Sceaux avait opposé un refus implicite, a annulé cette décision de rejet implicite au motif que le garde des Sceaux, “qui n'invoque aucun motif d'intérêt général de nature à l'en dispenser, était ainsi tenu d'accorder à [la requérante] la protection sollicitée... [et]que le refus qu'il lui a opposé était entaché d'excès de pouvoir” (CE, 28 mai 2003 : Juris-Data n° 2003-065413 ; D. 2004, p. 245).

180. – Un certain nombre de textes, en prévoyant que la qualité de magistrat professionnel ou occasionnel constitue une circonstance aggravante d'un certain nombre d'infractions, veillent ainsi à les protéger contre les outrages (C. pén., art. 434-24), les violences (C. pén., art. 222-12), les injures et les diffamations (L. 29 juill. 1881, art. 30 et 33). De même sont sanctionnées les atteintes à l'autorité de la justice par outrages, discrédit sur un acte ou une décision juridictionnels, dénonciation d'une infraction imaginaire (C. pén., art. 434-24 et 434-26).

d) Infractions commises par un magistrat

181. – Les magistrats du parquet sont toujours susceptibles de faire l'objet de poursuites, comme tous les autres magistrats, pour crimes ou délits commis soit hors l'exercice de leurs fonctions, soit dans l'exercice de celles-ci.

182. – Depuis l'abrogation, par l'article 102 de la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993, des articles 679 à 688 du Code de procédure pénale, l'action est engagée à leur encontre devant la juridiction normalement compétente au regard des règles de compétence de l'article 43 du Code de procédure pénale. Il peut, néanmoins, être opportun, en pareille circonstance que, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, l'affaire soit renvoyée à une autre juridiction, surtout lorsque le magistrat impliqué exerce, ou a exercé, ses fonctions au sein de celle-ci, et que cette situation fait craindre que l'une des parties à la procédure n'y voit un risque de connivence ou de partialité de la juridiction. C'est la raison d'être des procédures prévues aux articles 662, d'une part, et 665, d'autre part, du Code de procédure pénale. Dans ce domaine, il est très difficile de tenter de définir les raisons qui amènent la chambre criminelle a faire droit, ou refuser de le faire, aux requêtes qui lui sont présentées tendant au dessaisissement de la juridiction normalement compétente, car tout est affaire de casuistique.

183. – La question s'est posée de savoir si les propos tenus à l'audience par les magistrats du parquet pouvaient revêtir un caractère diffamatoire ou injurieux.

S'il est de principe que l'immunité prévue par l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 n'est pas applicable aux magistrats, et notamment ceux du ministère public, ont admet cependant que ces derniers bénéficient de l'immunité générale qui découle de la nature même des fonctions qu'ils exercent (Cass. crim., 2 févr. 1900 : S. et P. 1901, 1, p. 204 ; Bull. crim. 1900, n° 41. – Cass. crim., 23 nov. 1950 : Bull. crim. 1950, n° 431 ; JCP G 1951, II, 5966. – Cass. crim., 19 nov. 1981 : Gaz. Pal. 1982, 1, p. 245. – Cass. crim., 9 déc. 1981 : JCP G 1983, II, 19931, note de Lestang. – Cass. crim., 9 mars 1983 : D. 1983, jurispr. p. 352, note Jeandidier. – CA Paris, 6 févr. 1949 : JCP G 1950, II, 5672, note Colombini. – V. J.-Cl. Pénal Annexes V° Presse, fasc. 60).

7° Obligation de réserve

184. – Sanction disciplinaire – Tout manquement, par un magistrat, aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire. Pour les membres du parquet, cette faute s'apprécie compte tenu des obligations qui découlent de leur subordination hiérarchique.

Dans sa décision le 9 octobre 1987, la Commission de discipline du parquet avait affirmé que le représentant du ministère public prenant la parole à l'audience n'est pas affranchi “des obligations liées au devoir de réserve, ni autorisé à toutes les licences”.

Plus récemment, la formation "parquet" du Conseil supérieur de la magistrature, siégeant en formation disciplinaire, a rappelé que “si la liberté d'expression reconnue aux magistrats, notamment à ceux duministère public, leur ouvre, comme à tout citoyen, le droit à la critique, celle-ci doit s'exprimer en évitant les excès susceptibles de donner de la justice une image dégradée ou partisane”.

185. – Toute délibération politique est interdite au corps judiciaire. Toute manifestation d'hostilité au principe ou à la forme du gouvernement de la République est interdite aux magistrats, de même que toute démonstration de nature politique incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions(Ord. n° 58-1270, 22 déc. 1958, art. 10).

De même, toute action concertée de nature à arrêter ou entraver le fonctionnement des juridictions est interdite au corps judiciaire.

186. – L'obligation de réserve n'a, cependant, jamais été définie avec précision par un texte législatif ou réglementaire. La réserve imposée par la fonction évolue avec l'état des mœurs. L'appréciation que chacun peut en avoir est le fruit d'une exigence et d'une délicatesse toujours en éveil pour assurer au mieux une indépendance effective.

187. – La réserve se manifeste par la discrétion et la retenue du magistrat tant dans sa vie privée que dans sa vie professionnelle. Au demeurant, vie privée et vie professionnelle sont indissociables. Les fonctions du magistrat s'identifient tellement avec lui, avec son existence, que l'homme et le magistrat sont inséparables (M. Rousselet, Histoire de la magistrature française : t. II, Plon, 1957, p. 63).

188. – L'obligation de réserve a, ainsi, donné lieu à quelques rares décisions de jurisprudence :

C'est ainsi qu'a justifié les sanctions disciplinaires (V. infra n° 200 à 211) le fait, pour un procureur de la République, d'avoir, dans sa vie privée, un comportement témoignant d'une absence totale de dignité, incompatible avec la qualité de magistrat (CE, 21 févr. 1968 : Rec. CE 1968, p. 122).

8° Honorariat

189. – Tout magistrat admis à la retraite est autorisé à se prévaloir de l'honorariat de ses fonctions, sans avoir à solliciter cette qualité.

190. – L'honorariat peut, toutefois, être refusé au moment du départ en retraite par une décision motivée du garde des Sceaux, prise désormais après avis du Conseil supérieur de la magistrature (L. org. n° 94-101, 5 févr. 1994, art. 22, modifiant Ord. n° 58-1270, 22 déc. 1958, art. 77). À cet égard, l'article 22 susvisé, en un alinéa ajouté à l'article 77, précise que si lors de son départ en retraite, le magistrat fait l'objet d'une poursuite disciplinaire, il ne peut se prévaloir de l'honorariat avant le terme de cette procédure et l'honorariat peut lui être refusé, au plus tard deux mois après la fin de cette procédure.

La procédure de refus de l'honorariat est donc assimilée à une procédure disciplinaire et doit observer les règles de compétence et de procédure prévues par le chapitre VII de l'ordonnance du 22 décembre 1958(contra CE, 22 nov. 1989, Giresse, antérieur à la réforme).

191. – Les conditions du retrait de l'honorariat sont prévues par l'article 9-2 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 qui renvoie au chapitre VII ("discipline") ; l'article 79 de l'ordonnance prévoit que le retrait peut être prononcé pour des motifs tirés du comportement du magistrat honoraire depuis son admission à la retraite ou pour des faits constitutifs d'une faute disciplinaire au sens de l'article 43, commis pendant la période d'activité, s'ils n'ont été connus du ministre de la Justice qu'après admission à la retraite. Le retrait de l'honorariat ne peut intervenir que dans les formes prévues au chapitre VII.

192. – Les magistrats honoraires demeurent attachés à leur état de magistrat et peuvent assister, en costume d'audience, aux cérémonies solennelles de leur juridiction. Ils prennent rang à la suite des magistrats de leur grade et sont tenus à la réserve qui s'impose à leur condition (Ord. n° 58-1270, 22 déc. 1958, art. 79).

C. - Organisation du ministère public

1° Les magistrats du parquet, membres du corps judiciaire

a) Recrutement, nomination, statut

193. – Tous les magistrats sont recrutés selon les mêmes règles et sont issus, pour le plus grand nombre, de l'École nationale de la magistrature.

194. – Ils prêtent tous le même serment, lors de leur nomination à un premier poste et avant d'entrer en fonctions, de “bien et fidèlement remplir leurs fonctions, de garder religieusement le secret des délibérations et de se conduire en tout comme un digne et loyal magistrat”. Ils ne peuvent, en aucun cas, être relevés de ce serment.

195. – Ils sont tous soumis aux mêmes incompatibilités, incapacités et interdictions, ainsi qu'aux mêmes obligations et devoirs professionnels. Dans le déroulement de leur carrière, les niveaux hiérarchiques du siège et du parquet sont symétriques et les nominations du siège au parquet et vice-versa sont, non seulement, réglementairement possibles, mais aussi de pratique courante. Après la cessation de leurs fonctions, ils bénéficient de l'honorariat dans les mêmes conditions (V. supra n° 189 à 192).

196. – Tous les magistrats sont indépendants, sous la garantie du Président de la République, qui préside le Conseil supérieur de la magistrature (Const., 4 oct. 1958, art. 64).

197. – Si l'indépendance des magistrats du siège tient à leur inamovibilité, à l'intervention du Conseil supérieur de la magistrature dans leur nomination et à leur régime disciplinaire, celle des magistrats du parquet tient essentiellement au pouvoir propre qu'ils tiennent de l'article 1er du Code de procédure pénale et à leur liberté de parole à l'audience, telle qu'elle est garantie par l'article 33.

Sur le plan strictement statutaire, cette indépendance a été renforcée par plusieurs textes d'une importance considérable. Dans un premier temps, la loi constitutionnelle n° 93-952 du 27 juillet 1993 a, en son article 1er, modifié l'article 65 de la Constitution relatif au Conseil supérieur de la magistrature.

198. – L'innovation fondamentale réside dans la création de deux formations du Conseil supérieur de la magistrature compétentes, l'une à l'égard des magistrats du siège, l'autre pour ceux du parquet. Si leur composition et leurs attributions sont différentes, le lien entre ces deux formations est, cependant, renforcé par la circonstance qu'il s'agit d'un organe unique siégeant régulièrement en réunion plénière, que certains membres sont communs aux deux formations et que chaque formation comporte un représentant de l'autre fonction.

199. – L'article 65 de la Constitution dispose, en ses alinéas 7 et 8, que la formation du CSM compétente à l'égard des magistrats du parquet donne son avis :

sur les nominations concernant les magistrats du parquet, à l'exception des emplois auxquels il est pourvu en Conseil des ministres (procureur général près la Cour de cassation et procureurs généraux près les cours d'appel) ;

sur les sanctions disciplinaires concernant les magistrats du parquet. Elle est alors présidée par le procureur général près la Cour de cassation.

L'article 16 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 (JO 8 févr. 1994), à laquelle renvoie le dernier alinéa de l'article 65 de la Constitution, précise que pour les nominations des magistrats du parquet, autres que celles pourvues en Conseil des ministres, l'avis de la formation compétente du CSM est donné sur les propositions du ministre de la Justice et après un rapport fait par un membre de cette formation.

Le fonctionnement de ce nouveau dispositif est précisé par les articles 10, 11 et 15 de la loi organique.

Le mandat des premiers membres du CSM sous nouveau statut est arrivé à échéance en juin 2002, et le CSM a été intégralement renouvelé à cette date (sur la réforme du CSM : Ch. Bigaut et J.-P. Lay : D. 1993, chron. p. 275. – Et les rapports annuels d'activité du CSM).

b) Discipline

200. – Tout manquement, par un magistrat, au devoir de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire (Ord. n° 58-1270, 22 déc. 1958, art. 43). Pour un magistrat du parquet, cette faute s'apprécie compte tenu des obligations qui découlent de sa subordination hiérarchique.

201. – Le régime disciplinaire des magistrats du parquet a été profondément modifié par les lois organiques n° 79-43 du 18 janvier 1979 et n° 94-101 du 5 février 1994. Aux termes de l'article 19 de ce dernier texte, c'est désormais la loi organique portant statut de la magistrature qui fixe les sanctions et la procédure disciplinaires applicables aux magistrats. La principale innovation a consisté dans la suppression de la commission de discipline du parquet (L. org. n° 94-101, 5 févr. 1994, art. 24).

202. – Le chapitre VII ("Discipline") de l'ordonnance du 22 décembre 1958 se trouve ainsi sensiblement modifié.

203. – Certes, reste rappelé le principe selon lequel le pouvoir disciplinaire est exercé à l'égard des magistrats du parquet par le garde des Sceaux, ministre de la justice.

204. – Mais la section III, qui traite spécialement de la discipline des magistrats du parquet, a été profondément bouleversée :

très logiquement (V. supra n° 201), l'article 58-1 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 fait désormais référence à l'avis “de la formation du CSM compétente pour les magistrats du parquet” en lieu et place de la “commission de discipline” (L. org. n° 94-101, 5 févr. 1994, art. 19) ;

l'article 59 prend soin de préciser “qu'aucune sanction contre un magistrat du parquet ne peut être prononcée sans l'avis de la formation compétente du CSM” (L. org. n° 94-101, art. 20. – V. L. org. n° 94-101, 5 févr. 1994, art. 21 pour la mise en forme de Ord. n° 58-1270, 22 déc. 1958, art. 63, 64, 65 et 66).

205. – Deux dérogations subsistent toutefois :

la première résulte de l'article 44 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 aux termes duquel “en dehors de toute action disciplinaire, l'inspecteur général des services judiciaires, les premiers présidents, les procureurs généraux et les directeurs ou chefs de service à l'administration centrale, ont le pouvoir de donner un avertissement aux magistrats placés sous leur autorité” ;

la seconde, prévue par l'article 58-1 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, est spécifique aux magistrats du parquet ; ils peuvent faire l'objet, de la part du garde des Sceaux, et après consultation du CSM, d'une interdiction d'exercer leurs fonctions prise dans l'intérêt du service jusqu'à la décision définitive des poursuites disciplinaires. Cette décision ne peut être renduepublique.

206. – S'agissant de la procédure disciplinaire à proprement parler, le ministre de la Justice saisit le procureur général près la Cour de cassation, président de la formation du CSM compétente à l'égard des magistrats du parquet. Dès cette saisine, le magistrat concerné a le droit d'obtenir communication de son dossier et des pièces de l'enquête éventuellement diligentée par un membre du Conseil désigné à cet effet en qualité de rapporteur.

Le magistrat visé peut se faire assister par l'un de ses pairs, par un avocat aux Conseils ou par un avocat inscrit au barreau.

207. – Les règles relatives au fonctionnement de l'instance disciplinaire sont réglées par les articles 55 et 56 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 modifiée.

208. – La formation compétente du CSM délibère à huis clos, et émet un avis motivé sur la sanction qui lui paraît appropriée aux faits reprochés. Son avis est transmis au garde des Sceaux (Ord. n° 58-1270, 22 déc. 1958, art. 65).

Sur l'étendue du pouvoir disciplinaire du garde des Sceaux à l'égard des magistrats du ministère public, le Conseil d'État a récemment annulé une sanction disciplinaire au motif, notamment, qu'en faisant savoir publiquement qu'il se conformerait à l'avis du CSM, quel qu'il fût, et qu'il ressort des termes mêmes de la décision attaqué que le garde des Sceaux s'est entièrement approprié les motifs et la portée de l'avis du CSM, il doit être regardé comme ayant renoncé à exercé le pouvoir d'appréciation qu'il lui appartient de mettre en oeuvre en application des articles 65 de la Constitution et 48 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 et a, ainsi, méconnu l'étendue de sa compétence et entaché sa décision d'une erreur de droit (CE, 12 janv. 2004 : Juris-Data n° 2004-066238 ; Rec. CE 2004, n° 248702).

209. – Si ce dernier entend prendre une sanction plus grave que celle proposée par le CSM, il saisit alors ce dernier de son projet de décision motivée. Le CSM émet un nouvel avis qui est versé au dossier du magistrat concerné (Ord. n° 58-1270, 22 déc. 1958, art. 66).

210. – Les sanctions disciplinaires applicables aux magistrats sont prévues par l'article 45 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 modifiée ; elles vont de la réprimande avec inscription au dossier à la révocation avec ou sans suspension des droits à pension.

211. – Si l'article 66-1 de l'ordonnance, relatif au recours contentieux devant le Conseil d'État a été supprimé par l'article 24 de la loi organique n° 94-101 du 5 février 1994, cette suppression est sans incidence sur l'existence d'un tel recours, puisque le Conseil d'État considère que continue de relever de son contrôle tout ce qui concerne l'organisation des tribunaux et le statut des magistrats (CE, 18 déc. 1936, Hurlaux : Rec. CE 1936, p. 1126. – CE, 12 déc. 1949, Mousset : Rec. CE 1949, p. 16. – CE, 26 juin 1953, Dorly : S. 1954, 3, p. 1, note de Laubadère ; JCP G 1953, II, 7810, note Carton. – CE, 18 oct. 2000, Terrail : req. n° 208168. – CE, 25 oct. 2002, Soulhol : req. n° 237509. – CE, 29 juill. 2002, Roubiscou :Juris-Data n° 2002-064371 ; req. n° 224952. – CE, 6 nov. 2002, Warniez : req. n° 225341. – V. Vedel, Le contrôle judiciaire des mesures disciplinaires frappant les magistrats du Parquet : Le pouvoir judiciaire, oct. 1953).

Cette juridiction a eu l'occasion de rappeler que “lorsque le Conseil supérieur de la magistrature, dans sa formation compétente à l'égard des magistrats du parquet, est appelé à connaître... de l'éventualité d'infliger une sanction disciplinaire, il ne dispose d'aucun pouvoir de décision et se borne à émettre un avis à l'autorité compétente sur le principe du prononcé d'une sanction disciplinaire et, s'il y a lieu, sur son quantum ; qu'ainsi, il ne constitue ni une juridiction, ni un tribunal au sens de l'article 6, paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales” (CE, 18 oct. 2000, Terrail :Juris-Data n° 2000-061046 ; req. n° 208168).

2° Composition du ministère public

a) Parquet

212. – Le dictionnaire Robert définit le ministère public comme “le corps de magistrats établis près des tribunaux avec la mission de défendre les intérêts de la société, de veiller à l'exécution des lois et des décisions judiciaires”. Les magistrats du ministère public établi auprès d'une juridiction forment le parquet.

213. – Le ministère public est exercé, en toutes matières, par le procureur de la République près le tribunal de grande instance, devant toutes les juridictions du premier degré de son ressort territorial(COJ, art. L. 311-14 et L. 311-15).

Il est exercé, près la cour d'appel, par le procureur général, et il en est de même à la Cour de cassation.

b) Tribunal de grande instance

214. – Le procureur de la République exerce l'action publique et requiert l'application de la loi (CPP, art. 31). Il représente, en, personne ou par ses substituts, le ministère public près le tribunal de grande instance (CPP, art. 39) et les juridictions du premier degré établies dans son ressort (COJ, art. L. 311-14 et L. 311-15). Le procureur de la République a, dans l'exercice de ses fonctions, le droit de requérir directement la force publique (CPP, art. 42).

Note de la rédaction – Mise à jour du 23/02/2017

214 . - Précisions relatives au rôle du procureur de la République

L'article 5 de la loi n° 2013-669 du 25 juillet 2013 relative aux attributions du Garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l'actionpublique (JO 26 juill. 2013, p. 12441) substitue à l'article 39-1 du Code de procédure pénale, qui devient l'article 39-2, un nouveau texte apportant des précisions sur le rôle et la subordination hiérarchique du procureur de la République. Le nouvel article 39-1 énonce qu'“en tenant compte du contexte propre à son ressort, le procureur de la République met en œuvre la politique pénale définie par les instructions générales du ministre de la Justice, précisées et, le cas échéant, adaptées par le procureur général”. L'alinéa 2 ajoute qu'“outre les rapports particuliers qu'il établit soit d'initiative, soit sur demande du procureur général, le procureur de la République adresse à ce dernier un rapport annuel de politique pénale sur l'application de la loi et des instructions générales ainsi qu'un rapport annuel sur l'activité et la gestion de son parquet”. Enfin, en vertu du dernier alinéa, “il informe, au moins une fois par an, l'assemblée des magistrats du siège et du parquet des conditions de mise en œuvre, dans le ressort, de la politique pénale et des instructions générales adressées à cette fin par le ministre de la Justice en application du deuxième alinéa de l'article 30”.

215. – Le procureur de la République, chef du parquet, est assisté d'un ou plusieurs substituts et vice-procureurs et, dans les tribunaux les plus importants, d'un ou plusieurs procureurs adjoints.

La réforme statutaire opérée par la loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 a supprimé, à l'avenir, le grade de premier substitut ; les magistrats du parquet antérieurement nommés à l'un de ces postes conservent, cependant, ce titre tant qu'ils ne sont pas nommés sur un autre poste.

Le procureur de la République répartit ses substituts, premiers substituts, vice procureurs et procureurs adjoints entre les chambres du tribunal et les différents services du parquet (COJ, art. R. 311-34).

Tous les magistrats du parquet ont droit à l'appellation de courtoisie de procureur de la République.

216. – Le chef du parquet peut, à tout moment, modifier la répartition des magistrats de son parquet. Il peut exercer lui-même les fonctions qu'il leur a spécialement déléguées chaque fois qu'il le juge convenable (COJ, art. R. 311-34 et 311-35).

217. – En cas d'absence ou d'empêchement, le procureur de la République est suppléé par le magistrat du parquet qu'il aura désigné.

En cas d'absence ou d'empêchement de ce magistrat, le procureur de la République est remplacé par le magistrat du parquet le plus ancien dans le grade le plus élevé et, à défaut, (COJ, art. R. 311-36) par un magistrat désigné par le procureur général. Ce dernier peut, selon les besoins du service, déléguer, pour remplir les fonctions du ministère public près les juridictions du ressort de la cour, un magistrat du parquet général ou un magistrat de l'un des parquets du ressort. Cette délégation ne peut excéder une durée de deux mois, sauf à être renouvelée ou prolongée par le garde des Sceaux.

218. – Le procureur de la République tient ses pouvoirs directement de la loi (CPP, art. 1er). Mais toute la difficulté tient au fait que les autres magistrats du parquet disposent également d'un pouvoir qui leur est propre (V. en ce sens : G. Accomando, op. cit., p. 99) dont l'exercice doit donc se concilier avec les principes précédemment évoqués tenant à l'organisation et au fonctionnement du parquet et au devoir de loyauté.

219. – Longtemps, il a été considéré que l'action engagée par l'un des magistrats du parquet contre l'accord de son chef ne pouvait lier ce dernier sous prétexte d'indivisibilité, et que le procureur de la République avait toujours la possibilité de désavouer ce magistrat intrépide en exerçant lui-même les fonctions qu'il lui avait spécialement déléguées, chaque fois qu'il le jugeait convenable (COJ, art. R. 311-35).

Il semble, néanmoins, que faute pour le procureur d'avoir repris lui-même l'exercice des fonctions normalement dévolues à l'un des magistrats de son parquet, ces dernières engagent valablement l'action publique, leur seule sanction consistant dans l'engagement de poursuites disciplinaires sur le fondement d'un manquement au devoir de loyauté.

220. – Il est, cependant, loisible au procureur de la République de relever appel d'une décision, alors même qu'elle a été rendue conformément aux réquisitions de l'un de ses substituts.

De même, son appel est recevable contre un jugement rendu conformément à ses réquisitions de relaxe, “cette circonstance ne le privant pas de la faculté d'user d'une voie de recours qui lui est ouverte par l'article 546 du Code de procédure pénale (Cass. crim., 17 janv. 1991 : Juris-Data n° 1991-700594 ; Bull. crim. 1991, n° 29).

221. – À l'inverse, si le procureur de la République a refusé d'accomplir un acte, ses substituts ne peuvent revendiquer l'indivisibilité du parquet pour l'accomplir eux-mêmes.

222. – Par ailleurs, il est tout à fait inexact de considérer le procureur de la République comme un substitut du procureur général. Le procureur de la République tient ses pouvoirs directement de la loi, ils ne lui sont pas délégués par le procureur général et, en outre, il dispose d'un pouvoir propre. Hormis la situation particulière de la cour d'assises (V. infra n° 228 à 234), chacun exerce le ministère publicauprès de sa juridiction, du premier degré pour le procureur de la République, du second degré pour le procureur général.

223. – Dans l'exercice de ses fonctions de ministère public près la cour d'appel, le procureur général a, cependant, le pouvoir d'intervenir dans l'exercice de l'action publique conduite par le procureur de la République.

Il dispose, d'abord, d'un droit d'appel qui lui est propre et qui se superpose à celui du procureur de la République, contre toute ordonnance du juge d'instruction ou du juge des libertés et de la détention(CPP, art. 185. – Cass. crim., 19 sept. 1990 : Juris-Data n° 1990-702589 ; Bull. crim. 1990, n° 319) et tout jugement correctionnel ou de police (CPP, art. 497 et 546. – Cass. crim., 30 oct. 1985 : Bull. crim. 1985, n° 51).

À cet égard, la chambre criminelle a jugé que les dispositions des articles 497, 498, 500 et 505 du Code de procédure pénale, qui accordent un droit d'appel non seulement à toutes les parties à l'instance mais aussi au procureur général n'étaient pas incompatibles avec le principe d'un procès équitable découlant de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme (Cass. crim., 29 févr. 2000 : Bull. crim. 2000, n° 86. – Cass. crim., 27 juin 2000 : Juris-Data n° 2000-003140 ; Bull. crim. 2000, n° 243).

Elle a, en revanche, jugé que les dispositions de l'article 546, dernier alinéa, du Code de procédure pénale, qui réservent au seul procureur général un droit d'appel contre certains jugements rendus en matière de police, dans des hypothèses où ce même droit est refusé au prévenu ainsi qu'à l'officier duministère public et au procureur de la République, n'étaient pas compatibles avec le principe de l'égalité des armes découlant de ces dispositions conventionnelles (Cass. crim., 6 mai 1997 : Bull. crim. 1997, n° 170 ; JCP G 1998, n° 15, p. 654, note Lassalle. – Cass. crim., 21 mai 1997 : Juris-Data n° 1997-002621 ; Bull. crim. 1997, n° 191. – Cass. crim., 17 juin 1998 : Bull. crim. 1998, n° 196. – V. A. Cerf, Incompatibilité du droit général d'appel du procureur général contre les jugements de police avec la Convention européenne des droits de l'Homme : D. 1998, jurispr. p. 223).

Tirant les conséquences de ces décisions, la loi n° 99-515 du 23 juin 1999 a supprimé le dernier alinéa de l'article 546 du Code de procédure pénale qui prévoyait cette possibilité d'appel.

Le procureur général peut, ensuite, jusqu'à l'ouverture des débats du tribunal correctionnel ou du tribunal de police, requérir l'évocation de l'instruction d'une affaire par la chambre de l'instruction (CPP, art. 195).

Enfin, il a la possibilité, à la suite de la transmission qui lui est faite de la notice semestrielle des juges d'instruction du ressort en application de l'article 221 du Code de procédure pénale, de demander des renseignements complémentaires au procureur de la République, lequel a toujours le droit de se faire communiquer les procédures en cours d'instruction (CPP, art. 82, al. 2).

Mais ce pouvoir d'intervention est strictement limité à ces situations et ne peut être étendu à d'autres cas.

c) Tribunal pour enfants

224. – Le procureur de la République près le tribunal dans le ressort duquel le tribunal pour enfants a son siège, est chargé de la poursuite des crimes et délits commis par les mineurs (Ord. n° 45-174, 2 févr. 1945, art. 7) dans l'ensemble de cette circonscription. Ce ressort peut donc recouvrir le territoire de plusieurs tribunaux de grande instance.

225. – Toutefois, le procureur de la République territorialement compétent procède à tous actes urgents de poursuite, notamment en saisissant le juge d'instruction de son tribunal, à charge pour lui d'en donner immédiatement avis au procureur de la République près le tribunal dans le ressort duquel le tribunal pour enfants a son siège, et de se dessaisir de la poursuite dans le plus bref délai.

226. – Au sein du tribunal de grande instance dans le ressort duquel un tribunal pour enfants a son siège, un ou plusieurs magistrats du parquet, désignés par le procureur général, sont chargés spécialement des affaires concernant les mineurs (COJ, art. L. 522-6).

227. – Aux termes du nouvel article 10-2, III, de l'ordonnance du 2 février 1945 sur l'enfance délinquante, issu de la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 (JO 10 sept. 2002), les mineurs âgés de treize à seize ans peuvent désormais, lorsqu'ils sont poursuivis pour un délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement et s'ils ont fait l'objet de mesures éducatives, être, à l'issue d'un débat contradictoire, placés sous un contrôle judiciaire leur imposant comme unique obligation de respecter les conditions d'un placement dans un centre éducatif fermé.

Le fait, pour le mineur concerné, de se soustraire volontairement à cette obligation peut entraîner la révocation du contrôle judiciaire et son placement en détention provisoire (Ord. n° 45-174, 2 févr. 1945, art. 11-2).

d) Cour d'assises

228. – Le procureur général représente en personne ou par ses substituts le ministère public auprès de la cour d'assises instituée au siège de la cour d'appel ; il en est de même pour le procureur de la République auprès de la cour d'assises instituée au siège de son tribunal (CPP, art. 34 et 39).

Le magistrat qui occupe le siège du ministère public auprès de la cour d'assises du chef lieu de la cour d'appel est présumé avoir reçu délégation du procureur général, conformément à l'article 241 du Code de procédure pénale (Cass. crim., 17 nov. 1993 : Bull. crim. 1993, n° 345). D'une manière générale, la chambre criminelle a jugé qu'un accusé ne pouvait contester la régularité de la délégation du magistrat occupant les fonctions du ministère public devant la cour d'assises (Cass. crim., 5 juin 1996 : Bull. crim. 1996, n° 233).

229. – Toutefois, le procureur général peut, dans les mêmes conditions, représenter le ministère publicauprès des autres cours d'assises du ressort de la cour d'appel, ou déléguer tout magistrat duministère public du ressort auprès d'une cour d'assises instituée dans ce ressort (CPP, art. 34 et 241).

Du fait du caractère intermittent de la cour d'assises, le procureur général exerce un véritable pouvoir de substitution à l'égard du procureur de la République. Mais ce pouvoir personnel ne peut être étendu au-delà du domaine que lui assigne l'article 34 du Code de procédure pénale.

230. – Lui seul peut interjeter appel d'un arrêt d'acquittement rendu par une cour d'assises du ressort(CPP, art. 380-2, al. 7), et l'appel du procureur de la République est irrecevable (Cass. crim., 26 juin2002 : Bull. crim. 2002, n° 145. – Cass. crim., 24 juill. 2002, n° 02-84.616. – Cass. crim., 15 janv. 2003 : Bull. crim. 2003, n° 9, dans le cas d'un acquittement partiel. – Cass. crim., 21 mai 2003 : Juris-Data n° 2003-019364 ; Bull. crim. 2003, n° 102. – Cass. crim., 26 juin 2003 : Bull. crim. 2003, n° 145. – Cass. crim., 23 juill. 2003 : Juris-Data n° 2003-020153 ; Bull. crim. 2003, n° 140).

231. – En revanche, ainsi qu'il a été précisé (V. supra n° 110), est régulier l'appel interjeté par un avocat général contre un arrêt d'acquittement de la cour d'assises (Cass. crim., 26 nov. 2003 : Juris-Data n° 2003-021531 ; Bull. crim. 2003, n° 223).

232. – En ce qui concerne la cour d'assises des mineurs, les fonctions du ministère public sont remplies par le procureur général ou un magistrat du ministère public plus spécialement chargé des affaires de mineurs (Ord. n° 45-174, 2 févr. 1945, art. 20) à la cour d'appel (COJ, art. L. 223-2) ou au tribunal pour enfants (COJ, art. L. 522-6).

233. – Cette disposition, qui paraît écarter le procureur de la République, sauf s'il a été spécialement chargé des affaires de mineurs, n'est pas prescrite à peine de nullité (Cass. crim., 29 oct. 1957 : Bull. crim. 1957, n° 680). Mais, de façon plus restrictive, la Cour de cassation a considéré que, s'il n'est pas précisé que ce magistrat était spécialement chargé des affaires de mineurs, il devait cependant, en l'absence de preuve contraire, être présumé avoir été appelé à siéger conformément aux prescriptions légales (Cass. crim., 22 avr. 1977 : Bull. crim. 1977, n° 128. – Cass. crim., 8 nov. 2000 : Juris-Data n° 2000-007681 ; Bull. crim. 2000, n° 337).

234. – La chambre criminelle a jugé que les fonctions de représentant du ministère public pouvaient être régulièrement exercées par un magistrat du parquet général “désigné par le procureur général pour occuper le siège du ministère public devant la cour d'assises des mineurs en remplacement du magistrat duministère public spécialement chargé des affaires de mineurs” (Cass. crim., 4 août 1984 : Bull. crim. 1984, n° 269).

e) Juge d'instruction et juge des libertés et de la détention

235. – Au cours de l'instruction préparatoire, le procureur de la République dispose d'une position privilégiée dans la mesure où il est présent tout au long de la procédure dont il a, lui-même, saisi le magistrat instructeur.

236. – Non seulement il introduit l'action, en saisissant le juge d'instruction par un réquisitoire introductif ou, en cours d'information, par un réquisitoire supplétif, mais encore il exerce un contrôle constant du déroulement de l'information dont tous les incidents lui sont notifiés. Il peut assister personnellement aux interrogatoires et confrontations de la personne mise en examen et aux auditions de la partie civile (CPP, art. 119).

Sa présence effective et ses réquisitions sont, en outre, obligatoires pour toute décision de placement en détention ou de prolongation de cette mesure (CPP, art. 145 et 145-1) en audience de cabinet ou lors d'un transport sur les lieux (Cass. crim., 14 mars 1988 : Bull. crim. 1988, n° 124).

237. – Le procureur de la République est en mesure de suivre le déroulement de l'information, par la communication du dossier de la procédure à tout moment, à charge de le restituer dans les vingt-quatre heures, et de prendre toutes réquisitions utiles afin que le juge accomplisse les actes lui paraissant utile à la manifestation de la vérité, ordonne toutes mesures de sûreté nécessaires ou l'avise de tous actes auquel il souhaiterait assister.

238. – Certes, le juge d'instruction demeure libre de ne pas donner suite à ces réquisitions, mais il doit alors rendre, dans les cinq jours, une ordonnance motivée (CPP, art. 82) ; dans l'hypothèse visée par l'article 137-4 du Code de procédure pénale, c'est à dire lorsqu'étant saisi de réquisitions aux fins de placement en détention provisoire, le juge d'instruction estime que cette mesure ne se justifie pas et qu'il ne saisit pas le juge des libertés et de la détention, il doit alors rendre une ordonnance motivée qui est immédiatement portée à la connaissance du procureur de la République afin de lui permettre de saisir directement, s'il l'estime opportun et que les conditions prévues par le second alinéa de ce texte sont réunies, le juge des libertés et de la détention devant lequel il aura déféré la personne concernée.

De façon générale, le procureur de la République peut soit interjeter appel devant la chambre de l'instruction de toute ordonnance du juge d'instruction ou du juge des libertés et de la détention (CPP, art. 185), soit, à défaut d'ordonnance rendue, saisir directement la chambre de l'instruction par requête(CPP, art. 82 et 173, al. 2).

Les dispositions des articles 148-1-1 et 187-3 du Code de procédure pénale, relatives à la procédure de référé-détention, ne dispensent pas le procureur de la République de former son appel d'une ordonnance de mise en liberté non conforme à ses réquisitions par une déclaration au greffe effectuée conformément aux prescriptions des articles 185 et 502 (Cass. crim., 1er avr. 2003 : Juris-Data n° 2003-019018).

239. – Outre son droit d'obtenir communication de la procédure, tous les actes de nature à influer de manière significative sur la marche de l'information doivent être communiqués au procureur de la République par le juge d'instruction.

Il en est ainsi :

de toute plainte avec constitution de partie civile dont il serait saisi avant l'ouverture d'une information (CPP, art. 86) ;

des constitutions de partie civile intervenantes dès lors qu'il envisage de les déclarer irrecevables(CPP, art. 87) ;

de tous éléments dès lors qu'il envisage de statuer sur sa compétence (CPP, art. 90) ;

de toute demande de restitution d'objets placés sous main de justice (CPP, art. 99) ;

de l'avis qu'il envisage de se transporter, pour quelque motif que ce soit (CPP, art. 92 et 93) sauf, toutefois, s'il n'effectue, à cette occasion, aucun acte d'instruction (Cass. crim., 28 mai 1990 : Bull. crim. 1990, n° 216).

240. – En outre, le juge d'instruction doit solliciter les réquisitions du procureur de la République :

pour la délivrance d'un mandat d'arrêt (CPP, art. 131) ou en matière de détention provisoire et de contrôle judiciaire (CPP, art. 145, 145-1 et 148. – Cass. crim., 6 juill. 1993 : Bull. crim. 1993, n° 241. – Cass. crim., 25 oct. 1994 : Bull. crim. 1994, n° 339. – Cass. crim., 14 oct. 1997 : Juris-Data n° 1997-004572 ; Bull. crim. 1997, n° 332) ;

lorsque se présente une difficulté en matière d'expertise : ordonnance de refus d'expertise ou de contre-expertise (CPP, art. 156. – Cass. crim., 28 avr. 1998 : Juris-Data n° 1998-002617 ; Bull. crim. 1998, n° 142) ;

dans l'hypothèse où le juge d'instruction envisage de saisir la chambre de l'instruction d'une éventuelle nullité affectant la régularité des actes et pièces de la procédure (CPP, art. 173) ;

en règle générale, avant toute ordonnance juridictionnelle, et notamment préalablement au règlement de la procédure (CPP, art. 175).

241. – Ainsi qu'il a été dit (V. supra n° 227), le placement sous contrôle judiciaire d'un mineur âgé de treize à seize ans doit, aux termes de l'article 10-2, III, de l'ordonnance du 2 février 1945, être précédé d'un débat contradictoire au cours duquel le procureur de la République prend des réquisitions.

242. – Par ailleurs, à la suite notamment de l'examen de la notice semestrielle prévue par l'article 221 du Code de procédure pénale, le procureur de la République peut être saisi par le procureur général d'une demande de renseignements complémentaires ou de vérification.

243. – Enfin, il appartient au procureur de la République de requérir, le cas échéant, la réouverture sur charges nouvelles d'une procédure close par une ordonnance de non-lieu.

f) Tribunal de police et juridiction de proximité

244. – L'organisation du ministère public près le tribunal de police et la juridiction de proximité est fixée par les articles 45 à 48 du Code de procédure pénale. Le lecteur voudra donc bien se reporter à l'étude consacrée à ces articles dans le présent ouvrage par M. Jacques Buisson (V. infra Art. 45 à 48).

Note de la rédaction – Mise à jour du 23/02/2017

244 . - Tribunal de police et juridiction de proximité

L'acte par lequel le procureur de la République transmet une procédure, pour compétence, en application de l'article 44 du Code de procédure pénale, à un officier du ministère public constitue un acte de poursuite interruptif de la prescription (Cass. crim., 6 févr. 2007 : JurisData n° 2007-037655 ; Bull. crim. 2007, n° 30).

245. – L'article 706-72 du Code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002, a créé des juridictions de proximité. La loi n° 2005-47 du 26 janvier 2005, relative aux compétences du tribunal d'instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance (JO 27 janv. 2005), a, à compter du 1er avril 2005, abrogé cet article, et réorganisé la répartition des compétences entre la juridiction de proximité et le tribunal de police (L. n° 2005-47, 26 janv. 2005, art. 7 et 11).

À compter de cette date, et sous réserve des dispositions transitoires de cette loi énoncées à l'article 11, le tribunal de police connaîtra des contraventions de la cinquième classe, et la juridiction de proximité des contraventions des quatre premières classes (CPP, art. 521, rédaction issue L. n° 2005-42).

L'article 523-1 du Code de procédure pénale, en vigueur à compter du 1er avril 2005, prévoit en son alinéa 2 que les fonctions du ministère public près la juridiction de proximité sont exercées par un officier du ministère public conformément aux dispositions des article 45 à 48 du Code de procédure pénale(CPP, art. 523-1, créé par L. n° 2005-42, 26 janv. 2005, art. 7, IV, et art. 11 al. 2).

246. – C'est le procureur de la République près le tribunal de grande instance dans le ressort duquel se trouve le tribunal d'instance qui occupe le siège du ministère public près le tribunal de police. Il s'assure de la bonne organisation des services et de l'expédition normale des affaires. Il en rend compte au procureur général (COJ, art. R. 311-38).

247. – L'intervention personnelle du procureur de la République, ou de ses substituts, est obligatoire pour la poursuite et le jugement des contraventions de cinquième classe. Pour ce qui concerne celles des quatre premières classes, les fonctions du ministère public peuvent être exercées concurremment par les magistrats du parquet et les commissaires et officiers de police occupant les fonctions d'officier du ministère public (CPP, art. 46 et 47) désignés à cette fin par le procureur général (Cass. crim., 22 oct. 1987 : Bull. crim. 1987, n° 366).

Pour le jugement des infractions forestières, les fonctions du ministère public sont remplies par certains fonctionnaires relevant de cette Administration (CPP, art. 45).

Qu'il s'agisse des officiers du ministère public ou des fonctionnaires de l'Administration des eaux et forêts, ils se comportent, alors, comme s'ils étaient de véritables magistrats du parquet et sont soumis aux mêmes impératifs de procédure.

248. – Aux termes de l'article 343 du Code des douanes, l'action pour l'application des peines est exercée par le ministère public ; l'action pour l'application des sanctions fiscales est exercée par l'Administration des douanes ; le ministère public peut l'exercer accessoirement à l'action publique.

Il se déduit de ces dispositions que le ministère public ne peut exercer l'action publique et, a fortiori, l'action fiscale, qu'en matière de délits et de contraventions de cinquième classe, les autres contraventions douanières ne faisant encourir que des sanctions fiscales (Cass. crim., 20 févr. 1997 : Bull. crim. 1997, n° 73).

Mais la chambre criminelle a jugé qu'un prévenu, poursuivi en matière douanière pour une contravention de la première classe, ne saurait reprocher à l'arrêt de la cour d'appel d'avoir déclaré recevable l'appel du ministère public dès lors que, statuant sur son appel, l'arrêt n'avait pas aggravé les sanctions prononcées en première instance (Cass. crim., 13 févr. 2003, n° 01-81.373).

249. – À titre exceptionnel, et en cas de nécessité absolue pour la tenue de l'audience, le juge du tribunal d'instance peut appeler le maire du lieu où siège la juridiction de proximité, ou l'un de ses adjoints, pour exercer les fonctions de ministère public (CPP, art. 46, al. 2, rédaction issue L. n° 2005-42, 26 janv. 2005, art. 9, VII).

250. – Les fonctionnaires de police et élus municipaux qui exercent les fonctions du ministère publicprès la juridiction de proximité ont, dans l'exercice de ces fonctions, les mêmes devoirs et les mêmes droits que les magistrats professionnels. Les principes posés par l'article 33 du Code de procédure pénale sur l'autorité hiérarchique (la plume est serve) et sur la liberté de parole (la parole est libre) leur sont pleinement applicables, de même que les principes d'indivisibilité, d'indépendance et d'irresponsabilité du ministère public.

g) Cour d'appel

251. – Les cours d'appel statuent souverainement sur le fond des affaires (COJ, art. L. 211-1).

252. – Le parquet près la cour d'appel est composé d'un procureur général, d'avocats généraux et de substituts généraux ; le nombre de ces derniers coïncide, généralement, avec celui des chambres de la cour.

Les avocats généraux et les substituts généraux n'ont pas de pouvoir propre. Ils sont tous des substituts du procureur général, sous la direction duquel ils participent à l'exercice des fonctions duministère public.

253. – C'est le procureur général qui règle l'affectation de chacun.

254. – En cas d'empêchement ou d'absence, le procureur général est remplacé, dans l'exercice des fonctions qui lui sont spécialement attribuées, par l'avocat général qu'il aura spécialement désigné. En cas d'empêchement de cet avocat général, le procureur général est remplacé par le plus ancien des magistrats du parquet général dans le grade le plus élevé (COJ, art. R. 213-24).

255. – Mais, contrairement aux dispositions prévues pour les tribunaux de grande instance et la Cour de cassation, il n'existe aucune possibilité de désignation d'un magistrat du siège pour assurer les fonctions du ministère public en cas de défaillance de tous les magistrats du parquet général.

Néanmoins, un magistrat du parquet placé auprès du procureur général peut désormais être affecté au service de la cour d'appel.

256. – Le procureur général représente, en personne ou par ses substituts, le ministère public auprès de la cour d'appel et auprès de toutes les cours d'assises instituées dans le ressort de la cour d'appel(COJ, art. L. 213-4 et R. 213-21 à R. 213-26. – CPP, art. 34).

La loi n° 2000-516 du 15 juin 2000, complétée par celle n° 2002-307 du 4 mars 2002, qui a instauré un droit d'appel des décisions rendues par la cour d'assises (CPP, art. 380-1 et 380-2) n'a pas prévu que, devant la cour d'assises siégeant en appel, les fonctions du ministère public devaient être obligatoirement tenues par un magistrat du parquet général.

Aussi, un même magistrat du ministère public peut requérir, dans la même affaire, devant la cour d'assises de première instance puis devant la cour d'assises d'appel, sans que les dispositions de l'article 6, § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ne puissent être utilement invoquées (Cass. crim., 21 mai 2003 : Juris-Data n° 2003-019364).

257. – Les fonctions du ministère public devant la cour d'assises des mineurs sont remplies par le procureur général ou un magistrat du ministère public spécialement chargé des affaires de mineurs (COJ, art. L. 223-2, L. 512-3 et L. 522-6. – Ord. n° 45-174, 2 févr. 1945, art. 20).

Mais la Cour de cassation a jugé que, s'il n'est pas précisé que ce magistrat était spécialement chargé des affaires de mineurs, celui-ci doit cependant, en l'absence de preuve contraire, être présumé avoir été appelé à siéger conformément aux prescriptions légales (Cass. crim., 22 avr. 1977 : Bull. crim. 1977, n° 128. – Cass. crim., 8 nov. 2000 : Juris-Data n° 2000-007681 ; Bull. crim. 2000, n° 337).

258. – De même a-t-elle considéré que les fonctions de représentant du ministère public pouvaient être régulièrement exercées par un magistrat du parquet général “désigné par le procureur général pour occuper le siège du ministère public devant la cour d'assises des mineurs en remplacement du magistrat duministère public spécialement chargé des affaires de mineurs” (Cass. crim., 4 août 1984 : Bull. crim. 1984, n° 269).

259. – Aucune disposition légale n'exige que le magistrat spécialement chargé des affaires de mineurs au parquet général soit nécessairement le représentant du ministère public aux audiences de la chambre de l'instruction appelées à connaître de telles affaires (Cass. crim., 26 sept. 1989 : Bull. crim. 1989, n° 329. – Cass. crim., 10 mai 2000 : Bull. crim. 2000, n° 182).

260. – Le procureur général veille à l'application de la loi pénale dans toute l'étendue du ressort de la cour d'appel (CPP, art. 35).

La loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 a ajouté cette précision qu'il veille également au bon fonctionnement des parquets de son ressort et que les procureurs de la République lui adressent, à leur initiative ou sur sa demande, des rapports particuliers sur telle ou telle affaire, question ou difficulté particulières ainsi qu'un rapport annuel sur l'activité et la gestion de leur parquet ainsi que sur l'application de la loi dans leur ressort (CPP, art. 35).

Il a, dans l'exercice de ses fonctions, le droit de requérir directement la force publique (CPP, art. 35, al. 4).

261. – Le procureur général procède à l'inspection des parquets de son ressort et s'assure de la bonne administration des services et de l'expédition normale des affaires. Il en rend compte au garde des Sceaux (COJ, art. R. 213-29).

Par ailleurs, les parquets sont tenus d'adresser au parquet général, à dates fixes, des états et rapports périodiques (V. J.-Cl. Pratique des Parquets, V° États et rapports périodiques).

262. – Le procureur général a autorité sur tous les officiers du ministère public du ressort de la cour d'appel (CPP, art. 37). S'il peut leur adresser des observations, il a également le pouvoir de retirer ou de suspendre l'habilitation à exercer les fonctions d'officier de police judiciaire qu'il leur a accordée (CPP, art. 16 et 16-1. – V. infra n° 263).

Il peut leur dénoncer les infractions à la loi pénale dont il a connaissance ou que le garde des Sceaux lui a notifiées, et leur enjoindre d'engager des poursuites ou, lorsque celles-ci sont engagées, de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites qu'il juge opportunes (CPP, art. 36. – V. supra n° 54 , Unité et hiérarchie du ministère public).

263. – Les officiers et agents de police judiciaire sont placés sous la surveillance du procureur général. Il peut les charger de recueillir tous renseignements qu'il estime utiles à une bonne administration de la justice (CPP, art. 38).

 

264. – La procédure d'habilitation des officiers de police judiciaire est régie par les articles R. 13 et suivants du Code de procédure pénale. Sur demande de leurs chefs de service, le procureur général prend un arrêté individuel d'habilitation. Cette décision indique les fonctions en vue desquelles l'habilitation est accordée et précise qu'elle vaut seulement pour le temps pendant lequel l'officier de police judiciaire exercera lesdites fonctions.

 

265. – La loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure (JO 19 mars 2003) ayant modifié les règles fixant la compétence territoriale des services ou unités de police judiciaire telles qu'elles sont prévues par l'article 15-1 du Code de procédure pénale, deux circulaires (CRIM PJ n° 92-16-H8, t. III, 27 mars 2003 et CRIM PJ n° 03-16 H8, t. I, 2 juin 2003) sont venues préciser les nouvelles règles applicables en matière d'habilitation des officiers de police judiciaire.

 

266. – En cette matière, le procureur général exerce une mission tutélaire : il lui incombe de prévenir les fautes et erreurs professionnelles et d'en assurer la sanction (Instr. gén., art. C. 34). Il intervient plus spécialement pour assurer la liaison avec les services et autorités dont la compétence dépasse le cadre des ressorts des parquets ; il a un rôle de coordination, il aplanit d'éventuelles difficultés pouvant survenir aux échelons départementaux ou régionaux.

En cas de faute professionnelle mineure, le procureur général adresse ou fait adresser une mise en garde à l'officier ou à l'agent de police judiciaire responsable, après avoir pris tous contacts utiles avec le procureur de la République du lieu d'exercice et les supérieurs hiérarchiques de l'intéressé ; ce contact préalable est, essentiellement, destiné à éviter le renouvellement d'erreurs ou de maladresses de même nature.

267. – Si la faute est grave, le procureur général peut procéder au retrait ou à la suspension de l'habilitation.

268. – Il peut, également, saisir la chambre de l'instruction en vue du prononcé de sanctions disciplinaires ou de la suspension de l'habilitation (CPP, art. 224 à 230), attribution qu'il partage avec le président de cette formation.

L'action devant la chambre de l'instruction est assez rare, et la sanction des fautes professionnelles est, d'habitude, suffisamment assurée par le retrait de l'habilitation, laquelle pourra être suivie par une procédure disciplinaire à l'initiative de l'administration de rattachement de l'agent ou de l'officier de police judiciaire incriminé.

269. – Il est tenu, au parquet général, un dossier individuel concernant l'activité de chaque officier de police judiciaire (CPP, art. D. 44 à D. 47).

Chaque année, le procureur général établit une notation individuelle, comportant l'appréciation du ou des procureurs de la République dans le ressort desquels exerce le fonctionnaire concerné, et l'adresse au ministère dont l'intéressé dépend administrativement.

L'article 19-1 du Code de procédure pénale précise que la notation par le procureur général de l'officier de police judiciaire habilité est prise en considération pour toute décision d'avancement.

h) Cour de cassation

270. – “Il y a, pour toute la République, une Cour de cassation” (COJ, art. L. 111-1).

Le parquet général de la Cour de cassation se compose du procureur général, du premier avocat général et d'avocats généraux, dont le nombre est fixé par décret. En outre, un ou plusieurs avocats généraux à la cour d'appel de Paris peuvent, par décret, être délégués à la Cour de cassation pour exercer les fonctions du ministère public près cette juridiction (COJ, art. L. 121-2).

271. – Les fonctions du ministère public sont personnellement confiées au procureur général (COJ, art. R. 132-1). Les premiers avocats généraux et les avocats généraux participent à l'exercice de ces fonctions sous la direction du procureur général (V. P. Lyon-Caen, op. cit. – J. Sainte-Rose, Le parquet général de la Cour de cassation réformé par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme : mythe ou réalité ? : D. 2003, chron. p. 1443).

Le procureur général porte la parole aux audiences des chambres mixtes et de l'assemblée plénière ainsi que dans les assemblées générales de la Cour. Il la porte aux audiences des chambres quand il le juge convenable (COJ, art. L. 132-1).

272. – Les magistrats du parquet de la Cour de cassation n'ont pas, à proprement parler et sous réserve de ce qui sera exposé à propos de la Haute Cour de justice (V. infra n° 273) et de la Cour de justice de la République (V. infra n° 274), l'exercice de l'action publique. Ils n'agissent, en règle générale, qu'en qualité de partie jointe à l'action pénale, excepté dans le cas d'un pourvoi dans l'intérêt de la loi, dont le procureur général décide librement de l'opportunité de le former (CPP, art. 621).

i) Haute Cour de justice

273. – Les fonctions de ministère public près la Haute Cour de justice, instituée par la Constitution du 4 octobre 1958 pour juger le Président de la République en cas de haute trahison, sont remplies par le procureur général près la Cour de cassation, assisté du premier avocat général et de deux avocats généraux désignés par lui (Ord. n° 59-2, 2 janv. 1959, art. 13).

La mise en mouvement de l'action publique échappe à ces magistrats, puisque le Président de la République ne peut être mis en accusation devant cette juridiction que par un vote des deux assemblées, intervenu dans les conditions indiquées à l'article 68 de la Constitution (V. W. Jeandidier, Les juridictions d'exception dans la France contemporaine : JCP G 1985, I, 3173).

La Haute cour de justice n'étant compétente que pour connaître des actes de haute trahison commis par le Président de la République dans l'exercice de ses fonctions et le Conseil constitutionnel n'ayant statué, dans sa décision du 22 janvier 1999(Cons. const., 22 janv. 1999, n° 98-408 DC : JO 24 janv. 1999), que sur la possibilité de déférer le Président de la République à la Cour pénale internationale pour y répondre des crimes de la compétence de cette cour, les poursuites engagées pour toute autre infraction ressortissent de la compétence des juridictions pénales de droit commun (Cass. ass. plén., 10 oct. 2001 : Juris-Data n° 2001-011153 ; Bull. crim. 2001, n° 481 ; Dr. pén. 2002, chron. 1).

j) Cour de justice de la République

274. – La loi constitutionnelle n° 93-952 du 27 juillet 1993 portant révision de la Constitution a créé la Cour de justice de la République, qui a une compétence exclusive pour juger les membres du gouvernement pour les actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis (Const., 4 oct. 1958, art. 68-1. – Cass. ass. plén., 23 déc. 1999 : Juris-Data n° 1999-004737 ; Bull. crim. 1999, n° 9 ; Gaz. Pal. 2000, p. 15, note Burgelin).

Sa compétence est limitée aux crimes et délits ayant un rapport direct avec la conduite des affaires de l'État relevant de leurs attributions et ne s'étend ni aux actes commis à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions (Cass. crim., 26 juin 1995 : Bull. crim. 1995, n° 235. – Cass. crim., 6 févr. 1997 : Bull. crim. 1997, n° 48 ; D. 1997, jurispr. p. 334, note Renucci ; Gaz. Pal. 1997, n° 98, p. 22, note Doucet ; JCP G 1997, p. 107, note Pralus ; Rev. sociétés 1997, p. 146, note Bouloc), ni aux faits dont la commission est concomitante à l'exercice d'une activité ministérielle (Cass. crim., 16 févr. 2000 : Bull. crim. 2000, n° 72. – Cass. crim., 13 déc. 2000 : Juris-Data n° 2000-007735 ; Bull. crim. 2000, n° 375), ni aux co-auteurs et complices (Cass. crim., 26 juin 1995 : Bull. crim. 1995, n° 235).

L'article 68-2 de la Constitution, après avoir indiqué la composition de cette juridiction, en précise le fonctionnement. Toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit commis par un membre du gouvernement dans l'exercice de ses fonctions, peut porter plainte auprès d'une commission des requêtes composée de trois magistrats, qui ordonne, soit le classement de la procédure, soit sa transmission au procureur général près la Cour de cassation aux fins de saisine de la Cour de justice de la République.

Le procureur général près la Cour de cassation peut aussi saisir d'office la Cour de justice de la République sur avis conforme de la commission des requêtes.

La loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 (JO 24 nov. 1993) dispose (art. 8) que le ministèrepublic près la Cour de justice de la République est exercé par le procureur général près la Cour de cassation, assisté du premier avocat général et de deux avocats généraux qu'il désigne.

275. – Le second stade de la procédure se déroule devant la commission d'instruction, qui informe en vertu d'un réquisitoire du procureur général près la Cour de cassation qui est, nécessairement, pris contre personne dénommée (L. n° 93-1252, 23 nov. 1993, art. 19).

Lorsque l'information est terminée, le procureur général prend ses réquisitions (L. n° 93-1252, 23 nov. 1993, art. 20).

276. – Pour les débats et le jugement, l'article 26 de la loi organique renvoie aux règles fixées par le Code de procédure pénale en matière correctionnelle (sur la loi constitutionnelle et la loi organique, V. B. Mathieu : ALD 1994, 6e cahier, p. 69).

Note de la rédaction – Mise à jour du 23/02/2017

Bibliographie

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Le parquet et les sirènes de l'indépendance : JCP G 2013, 460 

Grâce et disgrâce des instructions hiérarchiques : JCP G 2013, 955

J. Buisson 

Attributions du garde des Sceaux et des magistrats du
 ministère public en matière de politique pénale et mise en œuvre de l'action publique : Procédures 2013, comm. 293

J.-L. Lennon 

L’indépendance du
 ministère public ou le supplice de Tantale : Dr. pén. 2016, étude 25

V. Lesclous 

Le procureur : du mécanicien de la poursuite pénale à l'architecte d'un traitement social, une fonction républicaine : Dr. pén. 2013, étude 13

J. Pradel 

Faut-il supprimer les instructions pénales individuelles du garde des Sceaux au parquet ? : D.
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J.-H. Robert 

L'État, privé du droit à l'avocat : JCP G 2013, 520

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